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Éditorial

Francophonie sous-financée ; commercialisation honteuse des universités

Rédaction
31 mai 2021

Crédit visuel : Archives

Édito­rial rédigé par Miléna Frachebois – Co-rédactrice en chef

Fondée en 1960, l’Université Laurentienne (l’UL) fait face à une crise depuis le début de l’année 2021. En raison de problèmes financiers, l’UL a décidé de se mettre en faillite technique afin de liquider ses dettes. Cette procédure est une première dans l’histoire universitaire au Canada qui révèle des problèmes bien plus profonds.

Les raisons exactes de cette crise financière ne sont pas claires. Fabrice Colin, président de l’Association des professeures et professeurs de l’Université Laurentienne (APPUL) l’expliquerait par une série de mauvaises décisions. Il mentionne des surinvestissements en modernisation du campus et remet en cause la mauvaise gestion des ressources. 

À cela s’ajoute le sous-financement des universités de la part du gouvernement provincial. La réduction de 10 % des frais de scolarité n’entraînant aucune compensation de la part du gouvernement ontarien n’a fait qu’accentuer les problèmes préexistants. C’est donc une bonne chose de réduire les frais de scolarité. De cette façon, Ford impose aux universités la responsabilité de couper des services aux étudiant.e.s tout en se donnant bonne conscience. 

Université ou compagnie privée ? 

Depuis le 1er février de cette année, l’UL est placée sous la protection de la Loi sur les Arrangements avec les Créanciers des Compagnies (LACC). C’est la première étape d’une descente brutale qui « assimile une institution publique à une compagnie privée », s’étonne Colin. Cette assimilation est visible dans les choix effectués et les conséquences directes de la crise. Pourquoi cette loi privée s’applique sur un bien public ? Il est difficile de le comprendre.

Considérée comme une entreprise, l’Université traite les professeur.e.s comme des employé.e.s et les programmes comme une partie d’un inventaire. Puisque l’Université est insolvable, elle n’a plus les moyens d’assurer des indemnités de départ aux enseignant.e.s, l’UL ne s’en cache pas. En vertu de cette loi fédérale, l’UL ne peut favoriser des groupes de créanciers. Pourtant, les professeur.e.s, considéré.e.s comme des créanciers de second rang, se voient refuser ces précieuses indemnités. L’UL priorise en effet la Banque de Montréal, la Banque Royale du Canada, et la Dominion de Toronto, à qui elle doit des centaines de millions de dollars. Supposée être une institution publique, cette situation affole la communauté universitaire  Après avoir balayé les indemnités de départ pour les licencié.e.s, quelle est la prochaine étape ? Faire disparaître des cotisations ? 

En effet, les manœuvres de l’UL ne s’arrêtent pas là. Les pratiques comptables de l’administration laissent à désirer. Colin affirme que des apports financiers auraient été amalgamés. Des fonds de différentes provenances auraient été placés dans un seul compte et dépensés dans les dettes. Parmi ceux-ci se trouvaient les cotisations des professeur.e.s et des budgets de recherche. Adieu à la retraite et aux projets de recherche. 

Choix fatals pour la francophonie

Les choix sont draconiens et durs à avaler. En risque de faillite, des coupures ont été faites. Un sous-comité du Sénat de l’UL s’est penché sur la question. Résultat des courses, 83 membres du corps professoral et 42 membres de soutien sont licenciés. 17 professeur.e.s anticipent leur retraite pour sauver des postes. Des postes vacants sont coupés. 69 programmes disparaissent, ceux qui sont jugés les moins rentables. 

Martin Meunier, professeur à l’U d’O et titulaire de la Chaire Québec, francophonie canadienne et mutations culturelles indique que désormais, seulement 15 % des programmes de l’UL sont offerts en français. L’UL peut-elle donc encore se maintenir au rang d’une université bilingue ? Ou est-elle plutôt une université anglophone qui offre une sélection limitée de cours en français ?  Le statut d’université bilingue est difficile à maintenir et à questionner. 

Dans cette situation, il est clair que la francophonie est impactée. Les coupures faites sont principalement axées sur les humanités en français. L’UL a fait disparaître de nombreux programmes jugés sur leur critère « comptable » : l’histoire, la philosophie, le théâtre et bien d’autres programmes ont péri. Même le programme d’études françaises disparaît. Très paradoxal pour une « institution bilingue ». 

Les humanités sont moins importantes que les sciences dira-t-on. C’est ce qu’en dit le Sénat de l’UL. Pourtant, ce choix est problématique. Les humanités en français sont « les producteurs et éducateurs de la culture franco-ontarienne », souligne Meunier. Ainsi, c’est de génération en génération que l’amour de la culture francophone théâtrale, historique, artistique, se perpétue. 

En dépossédant cette matérialisation de la culture franco-ontarienne, on met en péril la reproduction culturelle de la minorité franco-ontarienne du nord. Alors que notre minorité se bat pour maintenir ses droits et son existence même, on s’attaque à sa culture. L’administration de l’UL fait tâche dans cette crise, et comme si ce n’en était pas assez, le gouvernement de Ford prouve encore une fois son amour pour la francophonie…

Ford et le financement des universités

Le gouvernement ontarien a décidé de ne pas s’impliquer dans la chute de l’UL. Selon Colin, Ford aurait pu empêcher à l’UL d’avoir recours à la LACC. La baisse de 10 % des frais de scolarité sans compensation financière a été une première pénalité pour les universités ontariennes et la pandémie n’a fait qu’empirer la situation. L’UL était donc mal partie pour assurer une viabilité financière, étant une de ces rares universités bilingues en Ontario. Le gouvernement aurait pu intervenir et donner un fond d’urgence à l’UL. Néanmoins, il n’a pas agi, il est resté tétanisé.  

Cette situation alarmante révèle que la francophonie est en péril. Elle démontre surtout que les universités bilingues et francophones sont dans le viseur, y compris l’Université d’Ottawa. Pour que cela ne se reproduise pas, il faut assurer la viabilité financière à long terme des universités bilingues et francophones. Ce sous-financement chronique est bel et bien présent, et il compte. Il y a urgence. Les gouvernements fédéral, mais surtout provincial doivent agir. Se donner le mérite c’est une chose, agir pour sa population, cela en est une autre. 

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