Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Rédactrice en chef
Chronique rédigée par Tatiana – Contributrice
J’ai commencé en 2018 mon baccalauréat en science politique et en administration publique à l’Université d’Ottawa (U d’O). Celui-ci touchant bientôt à sa fin, j’ai décidé d’analyser la population étudiante de mon programme, ces fonctionnaires et politicien.ne.s de demain. Entre manque de diversité et micro-agressions perpétuelles, les étudiant.e.s en administration publique et science politique restent une élite ultra-privilégiée, évoluant dans un entre-soi masculin, blanc et hétérosexuel.
Pardonnez mon langage peu politiquement correct, mais je suis fatiguée. Pardonnez mes généralisations, mais je suis fatiguée. « Il n’y a que la vérité qui blesse », non ?
À la fin de mon baccalauréat, je me repose enfin sur mes lauriers pour analyser la population étudiante de mon programme, qui fera de nous les futur.e.s fonctionnaires et politicien.ne.s de ce monde. Je les regarde, un.e par un.e, dans la classe. Je me souviens de nos débuts, où nous étions une bonne centaine et où nous nous regardions en nous demandant qui sera encore présent.e.s dans quatre ou cinq ans.
Nous y sommes, maintenant. Nous sommes désormais une vingtaine bientôt lâché.e.s dans le grand bain. L’élite de demain. Une élite qui ressemble à toutes les autres élites. Une élite dont je fais partie, de par ma résilience d’esprit, mais qui ne me ressemble pas. Masculine, blanche, hétérosexuelle, déjà dans les roues de la fonction publique. Bien sûr, ils ne représentent pas une majorité, mais croyez-moi, leur avenir est déjà tout tracé, alors que nous, nous devons tout pousser sur notre chemin afin d’essayer de se frayer une place pour ne plus suffoquer.
J’ai appris qu’il fallait travailler dur pour pouvoir avoir les mêmes opportunités que mes homologues. Femme, noire, queer, ayant des troubles de l’apprentissage, j’ai dû apprendre à étudier mille fois plus, au détriment de ma vie sociale, au détriment de ma santé mentale. Tandis que certain.e.s partent avec des ailes dans le dos, d’autres partent avec un, voire des bagages sur le dos. À devoir transporter toutes ces identités, à devoir prouver à un système non enclin aux changements que je suis légitime et intelligente, je me suis perdue. Nous évoluons dans un système éducatif censé nous enrichir intellectuellement, mais qui, en tant que personnes appartenant à plusieurs communautés opprimées, nous fait perdre toute estime de soi. En cinq ans d’étude, je suis passée d’une jeune femme ambitieuse pensant changer le monde, à une femme énervée qui parle haut et fort pour faire changer la salle de classe.
La salle de classe. Je me sens entre quatre murs, telle une analyse sartrienne, à regarder le comportement réel de mes camarades. Une remarque raciste par-là, une misogyne de l’autre côté, des yeux qui se lèvent lorsque nous abordons le colonialisme, et des sourires aux coins des lèvres lorsque l’on mentionne les personnes issues de la communauté 2SLGBTQIA+. Mon cœur s’emballe, mes mots ne sortent plus, je suis juste fatiguée. Fatiguée de devoir faire le travail éducatif à des incapables qui ne cherchent qu’à contre argumenter afin de montrer leur supériorité et non à écouter.
Oui, ce sont eux vos représentants populaires de demain. Des personnes qui sont intimement liées à leurs idéaux, qui se fragilisent quand elles sont remises en question, et qui ne seront jamais prêtes à écouter. Comme si le programme n’était pas déjà assez épuisant, je dois éduquer mes pairs, sur des problématiques aussi simples que « les femmes gagnent moins que les hommes », par exemple.
On en est là. Au secours, je me noie dans cette réalité qui façonne nos sociétés étudiantes. Je suis à deux doigts de balancer les noms, car vivre avec des micro-agressions banalisées sous le prétexte de la liberté d’expression, ça va deux minutes.
La salle de classe. Je regarde autour de moi, et j’en oublie un facteur clef : les professeur.e.s. Comment inciter les femmes à se lancer dans la recherche ou à intégrer les hautes fonctions publiques si nous ne pouvons que nous identifier à des hommes ? Comment, en tant que femme noire, dois-je me sentir légitime d’atteindre ces hautes positions, si au cours de mon parcours universitaire, je n’ai seulement eu la chance d’apprendre qu’auprès de très rares (quasi inexistantes) femmes noires à l’U d’O ?
Au-delà de l’identification, j’aurais espéré avoir des professeur.e.s bienveillant.e.s, qui comprennent systématiquement des notions clefs de l’administration publique à la lumière du genre (les fémocrates, l’ACS+, etc.) et ne pas devoir les éduquer sur des concepts qui, selon moi, sont indispensables à l’enseignement et à l’esprit analytique des politiques publiques. J’osais espérer ne pas avoir à éduquer mes professeur.e.s à propos de la diversité sexuelle, du racisme, ou encore des systèmes d’oppression au sein de la fonction publique. Mais bon, j’en demande peut-être trop pour des frais de scolarité tout de même estimés à 8000 dollars l’année. Le système universitaire en science politique, en l’occurrence, est cassé, et mérite un travail de fond afin de le réformer.
À l’aube de mon dernier semestre, je me suis sentie obligée de prendre des cours sur la diversité sexuelle, la diversité en gestion, pour avoir plus de chances d’évoluer dans des classes sécuritaires et ouvertes. Le programme de science politique aide uniquement les mêmes personnes à accéder à certaines fonctions, et croyez-moi, ce ne sont pas les personnes que vous voulez voir au pouvoir, ou du moins, si vous pensiez que l’avenir nous appartenait…