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Comprendre le populisme sous toutes ses coutures avec Efe Peker

Emily Zaragoza
3 mars 2024

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice artistique

Entrevue réalisée par Emily Zaragoza — Journaliste

Le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) de l’Université d’Ottawa (U d’O) a organisé le 30 janvier dernier une conférence dans le cadre du lancement de l’ouvrage collectif Populisme et sciences sociales : perspectives québécoises, canadiennes et transatlantiques. La Rotonde s’est entretenue avec Efe Peker, l’un des codirecteurs du livre, également professeur de sociologie et de science politique à l’U d’O, afin de mieux comprendre le concept de populisme.

La Rotonde (LR) : Comment définir le populisme ?

Efe Peker (EP) : Le mot « populisme », en sciences sociales, désigne l’ensemble d’idéologies, de styles de communication et de stratégies politiques qui créent une distinction antagonique et morale entre le peuple et les élites. Le peuple est défini comme homogène et vertueux, tandis que les élites nationales ou internationales sont vues comme des personnes ou des institutions  corrompues travaillant activement à saper la volonté générale du peuple.

LR : Où situer le populisme sur l’échiquier politique ?

EP : Le populisme existe à droite comme à gauche, mais la manière de concevoir le peuple est différente. La droite va avoir tendance à l’envisager comme appartenant à une ethnicité précise. Pour la gauche, le peuple est surtout économiquement défavorisé. Ces populismes expriment tous deux l’anxiété de statut que ressent une partie de la population. Un sentiment dû à une combinaison de facteurs socioéconomiques : la globalisation, l’immobilisme social, etc. Aux yeux de la droite, l’immigration et le changement démographique sont également responsables.

LR : Pourquoi avoir fait le choix de mentionner Donald Trump dès l’introduction du livre ?

EP : Donald Trump a été élu en 2016, également l’année du « Brexit ». Cette année-là a marqué l’explosion dans la recherche sur le populisme. À peu près 60 % de l’ensemble des recherches avec les mots « populisme » ou « populiste » dans le titre a été effectué ou publié depuis 2016. L’intérêt du public a également augmenté significativement, comme le montre la hausse des recherches Google. Trump a donc joué un rôle central dans l’explosion du concept, facilité par les médias, mais aussi par le monde universitaire et intellectuel.

Quand Trump remet en question les résultats des élections de 2020, cela produit des effets en dehors du pays. En ce moment, il est candidat à la primaire républicaine et il tient un discours très revanchard. Il déclare qu’il va cibler les opposant.e.s politiques, les dépeignant ainsi comme des ennemi.e.s du peuple. Tout cela a des effets sur la scène internationale. Dans des pays où les chef.fe.s d’État ont des tendances similaires, ils.elles vont se dire que si les États-Unis se permettent d’avoir ce genre de pratique, alors il n’y a aucune limite à l’autoritarisme.

LR : Qu’est-ce que « l’exceptionnalisme canadien » et pourquoi ce concept semble-t-il désormais dépassé ?

EP : Depuis près d’une décennie, la littérature a parlé d’un « exceptionnalisme canadien ». Selon ce concept, le Canada fait office d’exception à la montée du populisme, en raison d’un soutien à l’immigration plus élevé, d’une situation économique meilleure, ainsi que d’autres facteurs, notamment son système électoral. Toutefois, à partir de 2021-2022, l’insuffisance de cette littérature est apparue.

Le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier, ouvertement anti-multiculturaliste, a recueilli plus de 5 % des votes en 2021. Quelques mois plus tard, en janvier 2022, les convois de la liberté ont paralysé le pays. Ce mouvement de protestation incarnait l’utilisation typique d’un discours populiste. Cet épisode a également insufflé un changement au sein du Parti conservateur avec l’élection de Pierre Poilievre, soutien du mouvement, démontrant le succès des discours populistes auprès des électeur.rice.s.

LR : Quelle menace représente le populisme ?

EP : Le populisme envisage souvent les mécanismes démocratiques de contrôle et de contrepoids par exemple les juges, les médias, les institutions intermédiaires, etc. comme des barrières à l’exercice direct du pouvoir légitime du « vrai peuple ». Cette approche politique anti-pluraliste tient donc un discours qui sape la démocratie libérale. S’il accroît la défiance vis-à-vis des institutions, produit une polarisation continue ou crée des boucs émissaires, cela va sans doute nuire à la démocratie. Néanmoins, la politique populiste n’a pas toujours que des effets négatifs. Un mouvement populiste peut aussi mobiliser la population d’une manière élargie, et donc approfondir la participation démocratique des citoyen.ne.s qui se sentaient exclu.e.s du système.

Comme nous le voyons aux États-Unis, le populisme peut être, également, une atteinte aux droits des femmes et des minorités sexuelles. Ce n’est pas dans la définition du populisme de cibler ces groupes. Cependant, lorsqu’il est combiné avec le conservatisme social, le populisme peut promouvoir une vision de la famille traditionnelle qui exclut des rangs du « peuple » les individus qui ne correspondent pas à cet imaginaire. Par exemple, pour protéger la conception nativiste du peuple, c’est-à-dire d’une nation basée sur l’ethnicité, les femmes vont se voir accorder une position inférieure où leur rôle est exclusivement familial et reproductif. Cela constitue bien entendu une importante menace pour leurs droits.

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