Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Direction artistique
Article rédigé par Nisrine Nail — Cheffe du pupitre Actualités
La participation politique est un facteur essentiel au développement des jeunes, selon Statistiques Canada. Bien que la majorité des personnes âgées de 18 à 30 ans discutent souvent de la politique, le vote reste une forme d’engagement qui n’est pas très populaire au sein de cette tranche d’âge. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ? Pourquoi les jeunes sont-ils.elles plus intéressé.e.s par d’autres formes d’actions politiques comme les manifestations ? Et qu’en est-il du palier municipal ?
Manque d’accès ou manque d’intérêt ?
Armaan Singh, coprésident des néo-démocrates de l’Université d’Ottawa (l’U d’O) et ancien président du Syndicat étudiant de l’U d’O (SÉUO), juge que les jeunes ne participent pas autant aux élections que les personnes plus âgées, car ils.elles « font face à des obstacles [précis] ». Il donne comme exemple les étudiant.e.s qui vivent à l’extérieur de leurs circonscriptions. Le coprésident affirme avoir revendiqué pour la mise en place de bureaux de vote autour et au sein des campus universitaires. « En 2019, il y avait un bureau de vote spécial dans les campus. Ce n’est plus le cas depuis », informe Singh. À son avis, c’est la responsabilité du gouvernement et des agences d’élections fédérales et provinciales de rendre ce droit accessible.
Anne Mévellec, professeure titulaire à l’École d’études politiques à l’U d’O, estime que les conflits d’horaire, une des raisons principales des jeunes de ne pas avoir voté, ne sont pas une explication « valable ». « J’enseigne les politiques publiques et parfois, je suis étonnée de l’absence d’intérêt d’une part des étudiants pour la vie politique », poursuit-elle.
Alexei Kazakov, professeur à temps partiel en philosophie à l’U d’O, propose qu’il soit possible que le manque de participation des jeunes aux élections relève plus largement de la manière dont est définie le terme « nation ». Kazakov l’explique ainsi : « Avec la mondialisation, l’immigration de masse, la politique officielle du multiculturalisme et la montée de l’individualisme, il est difficile de définir ce qu’est la nation canadienne. » Selon lui, les jeunes sont moins enclins à s’impliquer dans la politique nationale, puisque « ça ne leur dit rien ». Le professeur suggère donc de repenser ce que signifie être Canadien.ne ou Ontarien.ne, et de s’interroger sur le vocable entourant le concept de « nation » comme « tradition », « patrimoine » et « histoire ». Il ajoute que les discours politiques n’interpellent généralement pas les jeunes. Lorsque c’est le cas, les politicien.ne.s parlent à ce groupe assez maladroitement. « On peut percevoir un manque d’authenticité », remarque-t-il.
Être entre pairs : une incitation à l’action
Mévellec suggère que les jeunes semblent s’engager davantage sur des thématiques précises, comme des enjeux environnementaux ou sociaux. C’est pourquoi les manifestations sont plus populaires auprès de ce groupe, contrairement au vote qui est plus « traditionnel ». L’ancien président du SÉUO convient que protester semble être plus attrayant que de choisir un mandat politique et aller aux urnes.
La professeure titulaire indique que, selon ses recherches, les jeunes qui s’engagent en politique, notamment ceux.celles qui se présentent aux élections, ont été socialisé.e.s à la politique par leurs pairs. « C’est intéressant, parce que ça démontre que cet intérêt ne dépend pas du milieu dans lequel [on grandit], mais bien des expériences étudiantes ou scolaires », avance Mévellec. Singh relate son expérience, en racontant qu’il est celui qui doit « pousser » sa famille à participer aux élections. À son avis, les jeunes devraient s’encourager à voter avec un sens de responsabilité collective. « Voter en groupe, c’est plus amusant et ça calme l’appréhension », assure le coprésident.
Kazakov rappelle donc l’importance de l’éducation publique sur l’engagement civil et politique. « J’ai grandi à Vancouver en Colombie-Britannique, et nos écoles présentaient des modules construits pour former les jeunes à la pratique du vote », atteste le professeur. À son avis, l’éducation serait une tentative d’encadrement dans notre société qui se baserait sur « la primauté de l’individu » plutôt que sur le collectif.
La municipalité mise de côté
« Le palier municipal reste très négligé, et pas juste par les jeunes, car les Canadiens ne le considèrent pas comme un palier politique. Ce qui est erroné comme conception », établit Mévellec. Singh souligne que le niveau municipal est important puisque les gens interagissent avec la ville quotidiennement. Il mentionne à titre d’exemple le transport en commun, qui est un service « très utilisé par les étudiants ». Selon l’ancien président du SÉUO, les jeunes ne font pas attention à la politique municipale, car elle est moins médiatisée, contrairement aux politiques provinciales et fédérales.
Mévellec développe que les individus qui votent au niveau municipal sont souvent des propriétaires, parce qu’ils.elles reçoivent un avis d’impôts fonciers. « Si vous êtes locataire, ce qui est le cas pour la majorité des étudiants, il n’y a pas de raison que ça vous intéresse particulièrement », constate la professeure. Néanmoins, elle soutient que les résident.e.s devraient s’engager, puisque la municipalité n’est pas seulement une question de fiscalité, mais aussi « de services et de planification de nos villes et nos communautés ». De son côté, Singh reconnaît que les étudiant.e.s habitent souvent dans la région pendant « quatre à six ans », ce qui expliquerait selon lui le manque d’engagement envers ce palier.
En vue de la somme de 100 000 $ récemment octroyée à la Fédération québécoise des municipalités par le gouvernement du Québec pour « stimuler » l’implication des jeunes dans la vie politique municipale, il sera peut-être possible d’observer des initiatives similaires en Ontario.