Nouvelles cibles fédérales d’immigration : constats sur le système d’immigration au Canada
Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique
Article rédigé par Marina Touré — Cheffe du pupitre Actualités
Le gouvernement fédéral a annoncé le 2 novembre les nouvelles cibles d’immigration pour les prochaines années. Il souhaite accueillir 500 000 immigrant.e.s chaque année d’ici 2025. Cette annonce suit une nouvelle mesure permettant aux étudiant.e.s internationaux.ales de travailler plus de 20 heures par semaine. Mais est-ce vraiment faisable ? Quelles sont les réalités du système d’immigration et d’accueil au Canada ?
Les trois sources qui se sont entretenues avec La Rotonde s’accordent pour dire que la pénurie de main-d’œuvre ainsi que la population vieillissante sont les raisons principales de cette nouvelle cible. Luisa Veronis est professeure agrégée au département de géographie, environnement et géomatique à l’Université d’Ottawa (U d’O) et titulaire de la Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes. Selon elle, il peut aussi s’agir d’une manière pour le gouvernement de distraire la population face aux différentes crises – sanitaire, économique et du logement – auxquelles fait face le Canada depuis de nombreuses années.
Annonce controversée
Est-ce que cette cible est atteignable ? C’est la question que de nombreuses personnes se posent à la suite de cette annonce. Hélène Pellerin, professeure en sciences politiques et vice-doyenne aux études de premier cycle à la Faculté des sciences sociales de l’U d’O, annonce qu’il y a près de 1,8 million de demandes qui attendent d’être traitées par les agent.e.s d’IRCC. Si le ministre de l’Immigration Sean Fraser a déclaré une embauche prochaine de nouveaux.elles agent.e.s pour combler ce retard, l’embauche n’est qu’une partie de la solution pour Pellerin et Veronis. Il s’agit selon elles de bien plus qu’un problème d’administration.
Pour Jean Nephetaly Michel, étudiant au doctorat en sociologie à l’U d’O, il faut aussi s’assurer de l’accueil de ces nouveaux.elles migrant.e.s. Celui-ci nécessiterait des services appropriés ainsi que des logements abordables, ce que la crise de logement ne rend déjà pas disponible pour les citoyen.ne.s et les immigrant.e.s qui vivent déjà au Canada, continue-t-il. De plus, il faut prendre en compte le fait, comme le mentionne Veronis, que ces immigrant.e.s qui arrivent au Canada peinent déjà à trouver un emploi. « On amène des cerveaux qu’on n’utilise pas » : cela peut prendre trois ans pour un.e nouvel.le arrivant.e pour trouver un emploi, insiste la professeure.
On ne peut pas non plus nier l’aspect humain de l’immigration, rappelle Michel. Selon lui, il y a une tendance à oublier que ce sont des humains qui migrent, et non des produits. Veronis ajoute qu’il y a un risque pour les nouveaux.elles arrivant.e.s de faire face à de grands problèmes de santé physique, mais aussi mentale, au moment de l’installation. Pellerin conclut qu’il y a plusieurs aspects du système d’immigration et d’accueil actuel qui doivent être améliorés avant d’atteindre ces cibles.
Tensions et solutions
Le gouvernement de Legault annonce depuis septembre vouloir réduire le nombre d’immigrant.e.s que le Québec accueille. Si pour Veronis, il s’agit plutôt d’un discours politique qui ne se soldera sûrement pas en une réelle diminution du nombre d’immigrant.e.s que va accueillir le Québec, Pellerin y voit une crainte au niveau de la francisation de ces immigrant.e.s, une crainte qui repose aussi selon elle sur de la xénophobie. Pour Michel, ces déclarations du Québec sont paradoxales, car le gouvernement Legault se dit tout de même prêt à accueillir des immigrant.e.s qui viennent du bassin de migrant.e.s temporaires du Québec.
Le gouvernement fédéral souhaite se concentrer sur l’immigration économique, étant donné la forte pénurie de main-d’œuvre. Pellerin rappelle que le système d’immigration canadien est un système d’immigration sélective, bien que cela ne soit pas toujours dit ouvertement. Pour Veronis et Michel, il existe une discrimination à l’encontre des étudiant.e.s internationaux.ales francophones venant d’Afrique subsaharienne et d’Haïti. Ces dernier.e.s font face à un haut taux de refus, qui viendrait selon Veronis qu’ils n’arrivent pas à prouver qu’ils.elles retourneront dans leur pays après leurs études.
Quelle est donc la solution à cette problématique ? Pour les trois sources, il s’agirait de se concentrer sur l’intégration et l’accueil des immigrant.e.s actuel.le.s avant de vouloir atteindre de nouvelles cibles. Veronis mentionne l’existence de services pré-arrivée, ainsi que de services communautaires qui ont de l’expérience dans l’accueil. Une pensée que partage aussi Michel, pour qui ces services, incluant des services de garderie pour les enfants, sont essentiels, mais sous-financés, ce qui les rend difficiles d’accès pour la majorité des personnes. Il est aussi important selon lui que les institutions postsecondaires se positionnent quant à l’immigration. Car, comme le dit Pellerin, les étudiant.e.s internationaux.ales sont des « vaches à lait » pour les universités.