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Yipeng Gi
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Réflexions sur un professionnalisme moral : entrevue avec Dr. Yipeng Ge

Nisrine Nail
31 janvier 2024

Crédit visuel : Osa Igiede — Courtoisie

Entrevue réalisée par Nisrine Nail — Cheffe du pupitre Actualités

Durant les derniers mois, l’étudiant en santé publique et en médecine préventive, Yipeng Ge, a fait l’objet de discussions sur le campus de l’Université d’Ottawa (U d’O) et à l’extérieur de celui-ci à la suite de sa suspension de la Faculté de médecine de l’U d’O. La Rotonde a fait un retour sur la situation et sur le dénouement de cette affaire.

La Rotonde (LR) : Quelle est la source de votre intérêt envers la médecine, l’équité sociale, la santé publique et mondiale ?

Yipeng Ge (YG) : J’ai étudié les sciences de la santé à l’Université McMaster, ce qui m’a permis d’en apprendre plus sur la situation des populations autochtones dans le contexte de la santé et des inégalités au Canada. J’ai découvert que ces inégalités sont ancrées dans des facteurs tels que le colonialisme et les déterminants de la santé, notamment l’insécurité alimentaire et le niveau de revenu. Ces apprentissages m’ont fait réfléchir quant à mon rôle en tant que professionnel et en tant que chercheur. Je reconnais que la médecine est violente et oppressive dans son histoire. Je continue de m’instruire afin de ne pas perpétuer ces systèmes.

J’ai travaillé en santé publique au à l’Organisation mondiale de la santé, cependant j’ai été très déçu de voir à quel point ce travail était éloigné de la communauté. Cela m’a fait réaliser que ce que je voulais vraiment faire, c’est de travailler directement auprès des individus.

LR : Quel était le contexte de votre récent voyage en Palestine ?

YG : J’y suis allé au mois de mars de l’année dernière. J’étais aux États-Unis pour faire ma maîtrise en santé publique à l’Université de Harvard. J’ai décidé dans une de mes classes d’écrire une dissertation sur les droits de la personne et la santé en Palestine dans un contexte d’occupation. Pendant que je faisais mes recherches, un groupe d’étudiant.e.s ont organisé un voyage afin de permettre au groupe de passer une semaine en Palestine. Là-bas, j’ai pris connaissance de choses très difficiles. Je me suis senti mal à l’aise lors de la préparation du voyage, car j’ai des ami.e.s Palestinien.ne.s qui ne peuvent même pas y retourner parce que leurs familles ont été expulsées. C’est une expérience à laquelle je réfléchis constamment. Elle m’a donné beaucoup de force et de convictions face à ce qui s’est passé dernièrement.

LR : Sur ce, durant les derniers mois, vous avez été suspendu de votre résidence à l’U d’O et vous avez quitté l’Association médicale du Canada (AMC). Pouvez-vous expliquer ce qui s’est passé depuis le début ?

YG : Le 7 octobre, je me souviens d’avoir lu les premiers reportages sur ce qui se passait à Israël et en Palestine. Au début, je ne faisais qu’aimer des publications, je partageais des messages et des stories sur Instagram. Ce qui m’est arrivé, c’est que des gens ont fait des captures d’écran de mon activité sur les réseaux sociaux pour les faire circuler. Mon compte était privé à l’époque, mais je l’ai ensuite rendu public, car quelqu’un m’avait forcé la main. Depuis, j’ai subi des tactiques d’intimidation dont le but était d’isoler, d’effrayer et de faire taire. Et je ne suis pas le seul, d’autres étudiant.e.s en médecine ont été et continuent d’être des victimes d’attaques visant à les discréditer et à compromettre leur carrière. C’était particulièrement pénible pour moi en novembre, en raison des nombreuses conversations et réunions qui ont eu un effet négatif sur ma santé mentale.

C’était très déconcertant d’avoir ces discussions alors qu’un génocide se poursuit et s’aggrave. Surtout pour un médecin étudiant en santé publique, ne pas pouvoir reconnaître la souffrance systémique, les pertes de vies humaines, la destruction de tous les déterminants de la santé, c’est aberrant. Je me sens incroyablement impuissant.

LR : Que pensez-vous de l’association entre le professionnalisme et la neutralité?

YG : Je pense que cette association est fausse. Tout le monde a des biais et des opinions. Prétendre que personne ne devrait avoir des convictions en tant que professionnel est extrêmement préjudiciable, même dans le domaine de la santé. Le travail des médecins consiste entre autres à observer les maladies dans diverses communautés, attirant ainsi l’attention sur les déterminants de la santé qui sont justement politiques.

Nous sommes dans une réalité où nous apportons du soutien et des soins aux communautés touchées par des problèmes structurels injustes sans pouvoir révéler ceux.celles qui sont responsables de ces problèmes. C’est clair qu’il existe un traitement deux poids deux mesures. Les facultés de médecine ont souligné l’importance de la lutte contre le racisme en médecine, en particulier après la mort de George Floyd. L’AMC a dénoncé les actions du gouvernement russe, notamment en soutenant l’aide humanitaire aux populations ukrainiennes. Les lignes sont très floues en matière des sujets politiques que l’on choisit d’aborder, ainsi que des communautés que l’on considère comme méritant d’être aidé et lorsque l’on perpétue ce type de discrimination cela est très dangereux. Je ne peux pas faire partie de ce type d’environnement et je ne devrais pas non plus subir de l’intimidation et du harcèlement. Personne ne mérite d’être traité ainsi.

LR : Comment avez-vous été soutenu durant ce processus ? Y a-t-il eu une résolution et allez-vous revenir à lU dO ?

YG : Au début, j’avais contacté de nombreux organismes, y compris le Bureau des droits de la personne de l’U d’O et le Centre des droits étudiants du Syndicat étudiant de l’U d’O. Cependant, j’ai eu l’impression qu’ils n’ont pas pris conscience de la gravité de la situation que je vivais. J’ai dû recourir à l’aide d’un conseiller juridique, afin de me défendre, car la situation dans laquelle je me suis retrouvée était hostile et je faisais face à des accusations diffamatoires très graves de la part d’une personne soutenue par la Faculté de médecine de l’U d’O et l’AMC. La conversation se poursuit entre les différent.e.s acteur.rice.s concerné.e.s, mais il n’y a pas de résolution claire.

L’École d’épidémiologie et de santé publique de l’U d’O a publié un message me souhaitant la bienvenue, mais il n’y a eu aucune reconnaissance du tort m’ayant été causé et aucune discussion sur la manière dont on pourra surmonter ce qui s’est passé. C’est inacceptable. Revenir dans cette institution, alors qu’elle m’a causé tant de torts personnels, psychologiques et au niveau de ma réputation… Ce n’est pas une option. Il s’agit d’une institution à laquelle j’ai consacré sept ans de ma vie. Pendant tout ce temps, cette école a pu acquérir une bonne réputation dans le domaine de la santé grâce au travail que j’ai accompli. Néanmoins, mon travail n’a jamais été pour elle. Je me dédie aux communautés et aux individus que je peux servir. Cela ne changera pas.

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