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Arts et culture

Prendre la parole pour célébrer le théâtre en collectivité

Culture
9 avril 2018

Par Nonibeau Gagnon-Thibeault et Gabrielle Lemire

 

« Ça sert à quoi le théâtre aujourd’hui? » C’est la question que s’est posée la dramaturge et metteure en scène Miriam Cusson, lors de l’écriture de son Mot du théâtre franco-ontarien livré par la poète et artiste slam Marjolaine Beauchamp le 27 mars dernier au Centre national des Arts (CNA). Au même moment, sur l’autre rive du canal Rideau, à la Cour des Arts se déroulait le Ottawa Theatre Challenge mettant au défi 12 compagnies de théâtre de la région d’Ottawa dans un amalgame de sketchs écrits durant les 48 heures précédant leurs performances. La Rotonde s’est jointe aux artistes pour célébrer la Journée mondiale du théâtre.

Tapage et autres bruits sourds

 

À l’occasion de la Journée mondiale du Théâtre, les 18 membres francophones du regroupement des Poids Plumes ont chacun offert leur contribution à un collage de textes rapiécés par Annie Cloutier, Lisa L’Heureux et Louis-Philippe Roy pour créer le spectacle Tapage et autres bruits sourds.

Dans une société en mouvance où le réel et le virtuel se côtoient, la communauté artistique remet en question ses pratiques traditionnelles. Le numérique crée une collectivité où tout le monde est « prophète, poète, photographe ». Les mots du sociologue Goffman sont donc plus pertinents que jamais : « Parce que tout le monde est à la fois acteur et public, la personnalité est définie et garantie par la collectivité ». Le théâtre est donc fondamental dans une société où chacun peut publier, s’exprimer librement à l’aide de l’amplification des médias sociaux.

Après une cérémonie pendant laquelle ont été présentés des messages signés par quatre personnalités d’importance sur les scènes américaine, canadienne, québécoise et franco-ontarienne, le public a été invité au Studio Azrieli du CNA. Le collage de textes des Poids Plumes, livré par quatre jeunes comédiens et un musicien sous forme d’événement performatif, portait un regard sur la définition du silence et de la parole, de l’expression de soi à l’ère des médias sociaux.

S’imbriquaient, dans un décor composé d’une pile de meubles en équilibre, des scènes loufoques et d’autres d’une intensité revendicatrice.

Prendre la parole

Le théâtre permet de se prononcer sur des enjeux actuels qui touchent la société à l’échelle communautaire comme à l’échelle mondiale. Pour Miriam Cusson, « il y a un énorme shift par rapport à la définition de l’individu ». L’auteure et dramaturge également comédienne s’exprime ainsi : « Je crois que le théâtre sert à se prononcer sur des questions difficiles au point de vue humanitaire ». Alors, dans une société de pluralité des voix, « le théâtre est un outil qui réussit à projeter des voix par-dessus la mêlée », ajoute l’artiste.

Si le monde du théâtre prend part à ce mouvement de redéfinition du monde, de réinvention d’une société régie par les outils numériques, il est essentiel de créer un espace de dialogue sur les enjeux d’envergure.

« C’est un espace de parole qui s’inscrit dans un partage avec le monde. Ça a la capacité de dire quelque chose de puissant, de profond, de politique et de nécessaire », partage l’auteure, dramaturge et comédienne Mishka Lavigne, membre des Poids Plumes. Plus que jamais, la communauté artistique se doit d’aller au-delà de « l’art pour l’art », afin de prendre la parole et d’insuffler un air de changement dans la société.

 

« C’est la grandeur de l’âme qu’on retrouve sur scène. »

Lisa L’Heureux

 

S’exprimer sur le monde qui nous entoure régissait l’événement du 27 mars au CNA. « On se doit d’interagir avec le restant de la planète. C’est important qu’on trouve des points de ralliement avec d’autres domaines, d’autres paroles », explique Cusson. Le théâtre est un outil de communication qui permet alors aux artistes de se confronter à la réalité de l’autre, du public et de leurs partenaires de jeu.

Célébrer un art humain

Tout comme Lisa L’Heureux, pour de nombreux comédiens, metteurs en scène, dramaturges et spectateurs, l’élément fondamental qui distingue le théâtre des autres formes d’art est son humanité.

« C’est la seule forme d’art qui, par son essence, par sa nature, exige la présence d’un public. Cet art a besoin qu’on soit tous dans le même espace. Le public n’est pas seulement un témoin mais un participant. »

Nina Lee Aquino, signataire du Mot du Canada

« Le théâtre c’est la performance, l’écriture, la production artistique. Pour moi, c’est de la thérapie. Faire rire les gens me donne l’impression de redonner au monde. Ça fait peur d’être si vulnérable sur scène, mais de savoir que je produis du contenu au lieu d’en ingérer, c’est une expérience libératrice. »

Lauren Caucher, comédienne au Toasted Theatre Company

« C’est la forme artistique qui met l’humain au centre, c’est la collaboration. Un art de rencontre avec le public, de proximité, de dialogue. »

Lisa l’Heureux, directrice artistique du Théâtre Rouge Écarlate et membre fondatrice des Poids Plumes

« Plus que la littérature, plus que le cinéma, le théâtre, qui exige la présence des êtres humains devant les autres êtres humains, est merveilleusement bien adapté à la tâche de nous éviter de devenir des algorithmes, des abstractions pures. »

Sabina Berman, signataire du Mot de l’Amérique

« Le théâtre est une chance de voir les choses sous une autre perspective et de s’ouvrir à de nouvelles expériences. »

Aaron LeBlanc, comédien au Improv Embassy

« Je crois que ça rassemble les gens dans une expérience commune qu’ils partagent. On vit et respire dans la même salle où des artistes interagissent d’une façon réelle, qu’on ne peut pas ressentir au cinéma. »

Catriona Leger, organisatrice du Ottawa Theatre Challenge et directrice artistique chez A Company of Fools

 

Un univers ludique

À la Cour des Arts, 12 compagnies de théâtre de la région d’Ottawa ont profité de la Journée mondiale du théâtre pour s’offrir un défi créatif avec la 18ème édition du Ottawa Theatre Challenge.

Dans cette compétition amicale, chaque compagnie avait 48 heures pour écrire une pièce d’une dizaine de minutes comportant 3 contraintes loufoques : chaque pièce devait inclure une mauvaise tendance de mode, un nom de couleur de vernis à ongle et un jouet pour enfant; chaque thème devant être pigé au hasard. L’équipe gagnante se méritait le trophée dérisoire du Poulet en caoutchouc.

Les comédiens avaient visiblement du plaisir à jouer leurs pièces devant leurs pairs. Les rires fusaient tout au long de l’événement, témoignage du caractère ludique du théâtre. Les spectateurs ont notamment pu assister à une représentation de Dieu qui panique face aux modes de vie découlant de la modernité et de l’athéisme en hausse. Il appelle alors ses soldats afin de lancer une nouvelle croisade mais se trouve davantage découragé en voyant qu’il ne reste qu’un soldat de Dieu et que ce dernier semble préférer les oranges au lieu de la guerre. Vient alors la décadence du Tout-Puissant : sous une musique électro de night club, Dieu fait balancer de la poudre partout et se dévergonde.

Sortir de l’isolement créatif

L’événement à ne pas prendre trop au sérieux a comme objectif de « rassembler les compagnies de la région dans l’esprit de la création et du théâtre et aussi pour avoir une compétition saine et amusante », met de l’avant Catriona Leger, organisatrice de cette édition du Ottawa Theatre Challenge et directrice artistique chez A Company of Fools.

Celle-ci explique qu’au théâtre « on crée souvent par nous-même, dans notre bulle, et nous n’avons pas l’opportunité d’interagir avec les autres et de les regarder ». Leger n’est pas la seule, puisque la formation des Poids Plumes au Canada français découle du même principe rassembleur. D’un regroupement de quatre auteurs qui se réunissaient pour discuter et faire la lecture de leurs textes respectifs, les Poids Plumes sont passés à dix-huit auteurs (également comédiens et dramaturges). Les processus créatifs diversifiés et la découverte d’autres voix permettent des collaborations inusitées.

« On crée souvent par nous-même, dans notre bulle, et nous n’avons pas l’opportunité d’interagir avec les autres et de les regarder »

Catriona Leger, A Company of Fools

Lors du Ottawa Theatre Challenge, afin d’élargir le processus créatif, les idées de contraintes qui devaient être pigées provenaient de toutes les compagnies de la compétition, « ainsi, chaque compagnie influence le travail de l’autre », explique Leger. Alli Harris, comédienne au Toasted Theatre Company, apprécie grandement ce genre d’événement puisque ça « unit les compagnies professionnelles avec les compagnies communautaires, donc ça nous rassemble tous dans la même salle à créer du théâtre ».

C’est l’équipe de Harris qui a gagné le Rubber chicken de la compétition avec leur parodie du genre True crime, où les acteurs sont des poneys du monde My Little Poney. Dans cette histoire, les deux suspects d’un meurtre, le petit ami et la meilleure amie de la victime, sont interrogés dans le cadre d’une émission télévisée.

L’équipe du Toasted Theatre Company n’a commencé à créer sa pièce que la veille de la compétition. Lauren Caucher, comédienne de la compagnie, raconte qu’elles ne se sont pas rencontrées avant « jusqu’à hier soir vers 19h. On a commencé à improviser pendant une heure et demie. Puis on s’est dit “est-ce vraiment la seule idée?” et on a commencé à improviser sur d’autres choses, mais on revenait toujours à l’idée originale. Puis l’idée d’un True crime nous est venue. On savait que l’on voulait être des poneys avec du maquillage, ça devait rester ». Caucher en est à sa première fois au Ottawa Theatre Challenge, une expérience qu’elle a appréciée : « On a eu tellement de plaisir à être ici et à regarder les autres. Je veux revenir c’est certain ».

 

Un engagement social

Le théâtre est un moyen pour prendre parole sur les enjeux actuels, mais plus concrètement, il peut devenir un moyen de prise d’action. Par exemple, le Ottawa Theatre Challenge s’est engagé socialement en versant tous les profits de la soirée à AFC (Actor’s Fund of Canada), un organisme qui vient en aide aux artistes canadiens qui sont en période de crise financière, qu’elle soit causée par la maladie physique ou mentale. Plus de 1 000$ ont été amassés pour la cause.   «Ils distribuent des fonds aux artistes professionnels qui ont des difficultés financières. Nous n’avons pas d’assurances, ni de sécurité d’emploi. AFC donne un support financier à ceux en difficulté », explique Leger.

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