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La CAQ majoritaire : résultats influencés par le mode de scrutin

Nonibeau Gagnon-Thibeault
8 octobre 2022

Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur Artistique

Article rédigé par Nonibeau Gagnon-Thibeault – Journaliste

La Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault remporte une deuxième fois la majorité des sièges parlementaires du Québec avec 40,97 % des suffrages. Le parti a connu des gains dans divers comtés de la province, lui permettant de conquérir 90 sièges à l’Assemblée nationale du Québec. Le Parti libéral du Québec (PLQ) continue de former l’opposition officielle, malgré des pertes importantes, avec 21 sièges pour 14,37 % des votes. Cette élection met toutefois en lumière des problèmes de représentativité dans notre mode de scrutin électoral.

Un mode de scrutin qui crée des distorsions

La CAQ a réussi à remporter un deuxième mandat auprès de la population, ayant récolté plus de votes et de circonscriptions que lors des élections de 2018. Or, la CAQ se retrouve avec la majorité des sièges alors qu’elle n’a pas la majorité des votes. Québec Solidaire (QS) a gagné un siège de plus que lors de son dernier mandat, avec 11 candidat.e.s élu.e.s. Il est à noter que cette formation politique connaît le deuxième plus grand nombre de votes de cette élection.

Pour sa part, le Parti Québécois (PQ) a remporté trois circonscriptions, soit 2 % des sièges, pour 14,6 % du vote populaire. En comparaison, le PLQ a obtenu sept fois plus de sièges (21) que le PQ, alors qu’il représente 0,23 % du suffrage en moins. Le Parti conservateur du Québec (PCQ) n’a quant à lui réussi à élire aucun de ses candidat.e.s, malgré l’appui de 12,92 % de l’électorat québécois.

«Il y a plus d’électeur.ice.s malheureux.ses que d’électeur.ice.s heureux.ses», observe François Rocher, professeur d’études politiques à l’Université d’Ottawa (U d’O). Le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour représente selon lui mal la complexité du tissu social, politique et démographique du Québec.

Son collègue Luc Turgeon, également professeur d’études politiques à l’U d’O, précise que les questionnements entourant ce mode de scrutin suivent une évolution du contexte politique au Québec. «Les problèmes fondamentaux du mode de scrutin émergent dans un système qui est multipartisan», observe-t-il. Le système majoritaire uninominal est selon lui plus adapté à une lutte de territoires entre deux partis politiques qu’à une lutte entre une multitude de partis sur l’ensemble de la province.

La réforme du mode de scrutin vers un système proportionnel mixte avec compensation régionale était l’une des promesses électorales reniées par la CAQ suite à son arrivée au pouvoir en 2018. Ce mode de scrutin aurait permis de distribuer 45 sièges selon la proportion des votes que reçoivent les partis politiques plutôt que de donner le siège au ou à la candidat.e qui récolte le plus de votes dans une circonscription. Une simulation effectuée par Radio-Canada estime que, dans un mode de scrutin proportionnel mixte avec compensation régionale, la CAQ aurait obtenu 15 sièges en moins à l’Assemblée nationale.

Un parti libéral replié sur Montréal

Turgeon donne en exemple le PLQ pour expliquer l’importance de la représentation territoriale dans notre système électoral. Sa popularité concentrée sur l’île de Montréal a permis au PLQ de remporter assez de circonscriptions pour être l’opposition officielle, alors qu’il n’est qu’en quatrième position en termes de nombre de votes. «Le PQ avait un appui plus diffus dans les régions du Québec, mais il n’a eu que trois députés, même s’il a eu une plus grande proportion des votes» compare Turgeon.

Ces résultats amènent Rocher à se questionner sur comment le PLQ pourrait courtiser un plus grand pan de l’électorat québécois. Si le parti réussit à représenter les préoccupations du nord et de l’ouest de Montréal, qui comportent une population davantage anglophone et multiethnique, comment réussira-t-il à obtenir des gains dans des circonscriptions plus francophones ? «Le drame du Parti libéral est qu’il a une clientèle qui n’est pas soluble dans la clientèle électorale dans son ensemble», commente Rocher.

Le climat social mis à mal ?

Rocher s’inquiète que les distorsions dans la représentation des différentes tendances politiques créent des tensions au sein du Québec. «Les institutions politiques sont un vecteur d’apaisement social. […] Si les oppositions sont sous-représentées et n’ont pas assez de place pour s’exprimer et participer dans le processus politique, ça peut mener à des contestations assez majeures » estime Rocher.

Il pense notamment au PCQ, qui n’est pas à l’Assemblée nationale malgré le 13 % des votes qu’il a recueilli. «C’est une des anomalies de notre système électoral», affirme Rocher. Une réforme vers le mode de scrutin proportionnel aurait donné au PCQ dix sièges, selon la simulation de Radio-Canada, alors que le parti de Duhaime n’a présentement aucune représentation au parlement. «On est en train de se concocter des conditions qui mènent probablement à des manifestations», ajoute-t-il.

Legault pourra-t-il réparer les pots cassés ?

Le discours de victoire de Legault se voulait apaisant et rassembleur, après avoir mené une campagne durant laquelle son parti a eu plusieurs propos controversés sur les immigrant.e.s. Après une campagne électorale «divisive», Legault assure vouloir «être le Premier ministre de tous les Québécois».

Rocher estime que Legault a eu un «discours réconciliateur après avoir joué sur la peur de l’immigration». Même son de cloche pour Turgeon qui juge que Legault a politisé les enjeux liés à l’immigration et à la langue. Cependant, souligne Turgeon, le Premier ministre «s’il est sérieux quant à son souhait de mieux accueillir les immigrant.e.s, doit mettre des ressources en place». Il rappelle que cela sera un défi avec les besoins importants d’investissements en santé et en éducation.

Rocher, pour sa part, présage plus de tensions sociales avec les politiques caquistes. «Les questions liées à l’immigration et la langue, je pense qu’elles prendront une forme nettement plus importante et dramatique», avertit-il.

Le professeur Turgeon souligne également que la pandémie de la COVID-19 a mis à mal les plans politiques et économiques du gouvernement Legault. Il s’attend à ce que la CAQ dévoile des réformes économiques qu’elle n’a pas pu réaliser lors de son premier mandat.

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