
L’arrivée de Shoppers sur le campus : bénéfice étudiant ou logique commerciale ?
Crédit visuel : Sophie Désy — Photographe
Article rédigé par Ismail Bekkali — Journaliste
L’ouverture récente d’un Shoppers Drug Mart dans l’édifice Minto de l’Université d’Ottawa (U d’O) a suscité des réactions partagées. Entre les bénéfices mis de l’avant par l’Université et les inquiétudes exprimées par le Syndicat des étudiant.e.s employé.e.s (SCFP 2626), ce projet soulève des enjeux plus larges sur la gouvernance du campus et l’impact des décisions administratives sur la communauté étudiante.
Linnea Löfström-Abary, agente d’équité et d’éducation au SCFP 2626, s’exprime non seulement en tant que membre de son syndicat, mais aussi pour partager ses préoccupations quant aux retombées locales de cette initiative. Elle évoque notamment l’exemple de Pharmacie Campus, seule pharmacie locale et indépendante du campus, dont la stabilité pourrait être menacée par l’implémentation d’une filiale de la compagnie Loblaw Compagnies.
Selon elle, le choix du complexe Minto comme lieu de construction ne serait pas anodin, compte tenu de sa proximité avec le Centre de santé et de mieux-être étudiant. Löfström-Abary signale de ce fait une « concurrence déloyale », forçant un petit commerce à faire face à « une entreprise de plusieurs millions de dollars ». Cela revient selon elle à diriger directement les personnes vers Shoppers, avant même de leur donner la possibilité d’opter pour une alternative locale.
Insistant sur cet argument, la représentante du SCFP 2626 souligne l’importance de Pharmacie Campus pour la communauté universitaire, et remet en question la pertinence d’implanter un commerce similaire : « nous avons déjà une pharmacie fonctionnelle, détenue et gérée localement, il serait redondant d’en construire une nouvelle ».
Entre santé publique et intérêts déguisés
L’Université, pour sa part, présente ce projet tout autrement. Pour Jesse Robichaud, Directeur des affaires publiques au Bureau des communications et affaires publiques à l’U d’O, l’ouverture de ce magasin vise à répondre « aux besoins de la communauté étudiante en matière de santé et de mieux-être ».
Selon sa déclaration officielle en tant que porte-parole de l’administration universitaire, le Shoppers Drug Mart viendra compléter les services déjà proposés par le Centre de santé et mieux-être étudiant. Robichaud met en avant cette pharmacie comme une offre supplémentaire, qui proposera « une gamme complète de soins pharmaceutiques », ainsi que « l’évaluation et le traitement de problèmes de santé mineurs et courants ».
La représentante syndicale remet en cause la volonté réelle de l’Université de répondre aux besoins de la communauté universitaire. « Je ne pense pas que [l’Université] ferait quoi que ce soit qui ne soit pas dans [son] intérêt financier. L’Université se comporte davantage comme une entreprise qu’un établissement d’enseignement », déclare l’étudiante. À l’inverse des arguments de l’Université, Löfström-Abary dénonce une priorité accordée au gain, et ce au détriment des étudiant.e.s : « [l’administration] n’a aucune honte à augmenter les frais de scolarité chaque année », illustre-t-elle.
Robichaud souligne quant à lui les bénéfices académiques qu’apporterait ce nouvel établissement, qui offrirait « des occasions de formation pour la relève en sciences de la santé et en pharmacie ». D’après lui, les étudiant.e.s pourront « participer à des stages ou des placements cliniques, où il.elle.s pourront appliquer leurs connaissances dans des contextes réels ». Il assure que ce partenariat permettra un « accès à un apprentissage pratique au sein d’installations de laboratoire et de simulation à la pointe de la technologie ».
De même, il réfute l’idée selon laquelle ce projet aurait un objectif purement financier, précisant que cette intiative aidera les étudiant.e.s et que son financement repose sur « un don de plus de deux millions de dollars, destiné à soutenir l’expansion du Centre de santé et mieux-être étudiant et à favoriser la recherche ».
Un manque de concertation dénoncé par le SCFP
Remettant en question le processus décisionnel de l’U d’O, Löfström-Abary affirme qu’« historiquement, l’Université n’a jamais été très réceptive à nos tentatives de communication ».
Elle poursuit avec un exemple propre au SCFP 2626 : « Il nous est déjà arrivé de mener une campagne massive d’envoi de lettres lorsque nos travailleur.se.s universitaires étaient sur le point de se mettre en grève, mais [l’Université] ne s’en est pas particulièrement souciés. Ils et elles restent généralement indifférent.e.s, ce qui rend la communication incroyablement difficile ». Selon elle, le cas de l’ouverture du magasin Shoppers n’est pas exempt de cette dynamique, avec une annonce tardive qui limiterait les opportunités pour les étudiant.e.s et les syndicats d’organiser une opposition structurée.
L’agente évoque plus largement « un manque de consultation » de la communauté étudiante, ainsi qu’une absence de dialogue qui alimenterait un sentiment de « frustration ». Elle établit un parallèle avec des controverses passées, comme celle du campement étudiant de l’été dernier, durant laquelle les étudiant.e.s réclamaient le désinvestissement des entreprises impliquées dans le génocide palestinien. Elle évoque également le mouvement RBC Off Campus (UBCO), dont les revendications ont été réprimées par une intervention policière.
Pour elle, ces événements offrent un aperçu des situations où les étudiant.e.s ont manifesté leur mécontentement quant à l’affectation de leurs fonds, et où l’Université a préféré le recours à la coercition plutôt que l’ouverture au dialogue.