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Arts et culture

L’art créé par les IA : deux artistes d’Ottawa expriment leurs opinions

Stella Chayer Demers
27 octobre 2022

Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique 

Entrevue réalisée par Stella Chayer Demers – Cheffe du pupitre Arts et culture

Le sujet de l’art généré par les intelligences artificielles (IA) est d’actualité :  l’IA DALL-E a été mise à la disposition du public pour un usage commercial gratuit, et une œuvre créée par une IA a été vendue à une enchère au prix de 432 500 dollars américains. La Rotonde s’est entretenue avec deux artistes visuels d’Ottawa pour discuter de leur point de vue, en tant qu’artistes, sur ce phénomène.

La Rotonde (LR) : Que pensez-vous personnellement de l’art de l’IA, par rapport au vôtre ?

Emily Neufeld (EN) : L’IA et la technologie en général n’entrent pas en ligne de compte dans ma pratique, c’est pourquoi je n’y pense pas beaucoup dans le cadre de mon travail. En tant qu’artiste, ce n’est pas une idée qui me rend anxieuse ou territoriale. En tant qu’amatrice de science-fiction, j’adorerais nourrir une IA de mon contenu Instagram et voir ce qu’elle en sortirait, ou encore collaborer avec une IA d’une manière ou d’une autre, voir ce qu’elle pense de mon travail, ou comment elle y réagit. J’adorerais connaître le sens de l’humour d’une IA et savoir si elle le mettrait dans son art. S’intéresserait-elle à la culture populaire comme moi ? Peut-on avoir le sens de l’humour si l’on ne peut pas rire ?

Tiffany April (TA) : Mon intérêt pour la technologie découle des effets de l’IA sur la façon dont nous naviguons et percevons le monde qui nous entoure. Plus particulièrement, je m’intéresse à la façon dont elles alimentent les vues alternatives et intersectionnelles des structures sociales et biologiques, pour créer un cadre pour un futur plus collaboratif. Je pense que tout ça commence par un changement fondamental dans la perception de notre séparation avec les êtres non-humains.

À cet égard, je pense que l’apprentissage et l’art de l’IA constituent un excellent moyen de tester la flexibilité de mes propres définitions de l’art, de l’agence et de l’intelligence. Nous avons vu ces définitions changer au fil des siècles et je pense que, à mesure que l’IA progresse en complexité et en capacité, ce sera un autre moment charnière pour le monde artistique.

LR : Pensez-vous que l’art généré par l’IA dévalorise votre travail et votre art d’une quelconque manière ?

EN : En tant qu’artiste individuelle, non. Je ne pense pas que les manigances financières au Christie’s ou au Sotheby’s aient un grand effet sur la valeur de mes petits dessins de fesses, ou sur les gens qui les apprécient. J’ai l’impression que ce sont deux mondes très différents. Je pense que les sommes ridicules que les gens dépensent pour l’art ont beaucoup plus à voir avec l’évasion fiscale qu’avec la véritable valeur de l’art.

TA : Je n’ai pas l’impression que l’art généré par l’IA dévalorise mon propre travail artistique. Il s’agit simplement de deux approches différentes de la création. Le désir humain de repousser les limites des méthodes de création est toujours le moteur de l’art IA et, à mon avis, il fait toujours progresser le monde de l’art vers de nouvelles compréhensions de l’art et de la propriété intellectuelle.

LR : Pensez-vous que l’art de l’IA pourrait définir l’avenir de l’art et notre perception de celui-ci dans son ensemble ? Les conséquences seraient-elles positives ou négatives ?

EN : Je pense que cela dépend du degré d’humanité qui est accordé à l’IA, que ce soit sur le plan juridique ou social. Si nous acceptons qu’une IA devienne un individu doté d’une personnalité unique grâce aux algorithmes et à l’apprentissage, nous devrions accorder à ses efforts artistiques autant de considération qu’aux créations d’un être humain. Je peux imaginer que l’IA soit exploitée comme une usine d’art pour créer des œuvres d’art pour les halls d’hôtel, le home staging ou les décors de cinéma – pour lesquels le.la client.e a besoin de quelque chose de rapide, spécifique et bon marché. Peut-être l’IA avalera-t-elle le marché des impressions de formes abstraites moutarde et sarcelle sur Etsy. Ce serait probablement un coup dur pour beaucoup d’industries créatives, comme toute automatisation.

TA : L’art de l’IA va certainement élargir la définition de ce qui peut être considéré comme de l’art. Cependant, je ne pense pas que l’art généré par l’IA va complètement réquisitionner l’avenir de l’art. La création artistique, sous diverses formes, existe depuis la première apparition de l’Homosapien sur terre, c’est ancré en nous. Je pense que ce qui va changer, c’est la façon dont les humains se connectent à l’art à un niveau émotionnel. À quoi cela ressemblera-t-il de se connecter à l’expression d’un être auquel nous ne pouvons pas nous identifier complètement ? 

LR : Considérez-vous que l’art réalisé par une IA soit réellement de l’ « art » ? Quelle serait votre définition de l’art ?

EN : Pour l’instant, ce que nous appelons « art de l’IA » ressemble davantage à un.e artiste utilisant un outil informatique. Ce n’est pas une collaboration entre un.e artiste, un seau et une toile : c’est un.e artiste qui expérimente avec des outils et des méthodes. Le résultat est toujours de l’art. Lorsque nous commencerons à entendre des preuves qu’une IA est un individu et qu’elle crée de l’art parce qu’elle le veut, je serai plus encline à parler d’ « art créé par une IA ».

Ma définition de l’art change tout le temps, mais je ne pense pas qu’elle puisse être catégorisée de manière rigide. J’ai l’impression que l’on reconnaît l’art quand on le voit. Les artistes sont des insupportables nombrilistes peu sûr.es d’elleux. Il y aura donc toujours un groupe qui dira que l’art de l’IA n’est pas du « vrai art ».

TA : Je pense que, pour les êtres humains, la création artistique est fondamentalement motivée par un besoin d’expression, de connexion et un besoin profond de donner du sens. Après notre disparition, l’art reste une archive culturelle. La question de savoir si la technologie de l’IA sera affligée des mêmes désirs profonds reste à déterminer et pourrait n’apparaîtra qu’avec une IA très avancée. En résumé, oui, je pense que l’art de l’IA est un art véritable. Compte tenu du niveau actuel d’avancement de l’art de l’IA, cet art est toujours lié à des paramètres et à des idées de représentation humaines. Par conséquent, à mon avis, il s’agit toujours d’un art fait par des êtres humains.

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