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Sports et bien-être

Le prix à payer pour la privatisation du système de santé ontarien

Nonibeau Gagnon-Thibeault
23 novembre 2022

Crédit visuel : Archives

Article rédigé par Nonibeau Gagnon-Thibeault – Journaliste

Le gouvernement de l’Ontario envisage de se tourner vers les cliniques privées afin de désengorger le système public. Cette annonce est dénoncée par les syndicats des professionnel.le.s de la santé et critiquée par les expert.e.s en santé publique. Si le recours aux cliniques privées peut être bénéfique à court terme, ceux.celles-ci y voient des problématiques à moyen et long terme.

Le Plan pour rester ouvert de la ministre de la Santé de l’Ontario, Sylvia Jones, examine la possibilité d’augmenter le nombre d’interventions chirurgicales des établissements de santé indépendants, donc entièrement privés. « Nous voyons la valeur de certains de ces établissements de santé indépendants […] pour alléger la pression sur nos partenaires en soins de santé », a déclaré la députée du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario en conférence de presse la semaine passée.

Les infirmier.ère.s dénoncent une privatisation 

L’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario (AIIO) dénonce le recours aux cliniques privées, qu’elle considère comme une privatisation du système de santé ontarien. « Notre système de santé a simplement besoin d’un financement raisonnable, ainsi que du soutien et du respect de notre gouvernement », affirme la vice-présidente de la région 2 de l’AIIO, Bernie Robinson, dans une déclaration à La Rotonde.

Robinson juge que cette politique affaiblit le système public puisqu’elle le prive d’un financement qui est plutôt dirigé en profits vers les établissements privés. « Cela signifie des services de moindre qualité et moins sécuritaires pour le système public », avertit-elle.

La présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers, Linda Silas, est en accord avec Robinson. « Quand on suggère la privatisation en santé, c’est qu’on ne veut pas faire d’efforts pour renforcer notre système public », déclare-t-elle d’emblée.

La ministre Jones considère que les détracteur.ice.s de son plan se battent pour le statu quo. « Ils.elles sont idéologiquement opposé.e.s au changement ou aux améliorations. Nous n’accepterons pas cela », lance la vice-première ministre de l’Ontario.

Vers un plus grand manque d’infirmier.ère.s au public ?

L’annonce de Jones fait suite à la fermeture de services d’urgence de certains hôpitaux de la province, dont deux à Ottawa, dû à une pénurie de personnel. Silas estime que le plan du gouvernement Ford contribuera au manque d’infirmier.ère.s dans le secteur public. « Si on ouvre une clinique privée, c’est certain qu’on prend des infirmier.ère.s du public, là où sont les gens les plus malades », signale-t-elle.

Les propos d’Olivier Jacques, professeur adjoint à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, reflètent ceux de Silas. « La croissance des effectifs dans le privé se fait au détriment du public. C’est seulement bon si le nombre de professionnel.le.s de la santé augmente dans son ensemble », souligne le spécialiste des politiques publiques des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. « À moyen terme, il peut y avoir un problème de rétention de la main-d’œuvre dans le public, car les cas sont plus lourds. Ça n’améliore pas la situation », ajoute-t-il.

Un rapport publié cette semaine par l’Institut canadien d’information sur la santé indique qu’il y a eu une augmentation de 6,5 % des infirmier.ère.s autorisé.e.s et de 8,2 % des infirmier.ère.s auxiliaires autorisé.e.s dans le secteur privé entre 2020 et 2021 au Canada. Cette tendance inquiète Silas. « Cela met encore plus de pression sur le personnel du système public », se désole-t-elle, en insistant sur l’importance de créer de nouveaux instituts de santé publics.

Des inégalités pour l’accès aux soins

François Béland, professeur titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, estime que ce plan créera un système à deux vitesses. Les centres privés prioriseront les chirurgies du secteur privé plutôt que celles du secteur public, selon lui. « On entre dans une dynamique perverse. C’est clair que les médecins auront un revenu supérieur quand ils pratiquent pour un client privé comparativement au public », prévoit-il.

Béland soutient que les investissements importants dans les cliniques privées font en sorte qu’il y ait un incitatif à maximiser les revenus qu’elles peuvent générer. « Ils ne sont pas là pour donner des soins, mais pour faire de l’argent », met en garde le professeur. « Ce genre de distorsion est inévitable, dans la logique même de l’investissement », ajoute-t-il.

Une manière d’éviter un système à deux vitesses serait de faire appel aux cliniques qui n’offrent que des soins couverts par le régime d’assurance publique, selon Béland. L’Ontario Medical Association (OMA) adopte la même position. « Les centres ambulatoires ne devraient offrir que des procédures financées publiquement […]. Ils ne devraient exister que sous un modèle d’affaires à but non lucratif afin de respecter la loi canadienne sur la santé et ne pas contribuer à un système à deux niveaux », soutient la directrice des communications aux médias de l’OMA, Leslie Shepherd.

Le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario ainsi que le bureau de Sylvia Jones n’ont pas souhaité répondre aux questions de La Rotonde.

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