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Éditorial

La démocratie selon Doug Ford

Rédaction
7 novembre 2022

Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique

Éditorial rédigé par le comité de rédaction de La Rotonde

Le gouvernement Ford a une nouvelle fois brillé, la semaine passée, de par ses qualités en termes d’écoute, de consultation et de négociation. En faisant passer en force son projet de loi 28 à l’Assemblée législative de l’Ontario, la majorité progressiste-conservatrice réaffirme ainsi son attachement au compromis.

« Plus que jamais, nous avons besoin de nous unir. […] L’Ontario est plus fort, nous sommes inarrêtables lorsque nous demeurons ensemble », affirmait le Premier ministre ontarien à l’occasion de sa réélection en juin dernier. Si la sincérité de cette déclaration est palpable, c’est peut-être sa signification qui peut laisser place au doute. Ce que Ford voulait en fait dire, c’est : « Mon gouvernement est plus fort, nous sommes inarrêtables lorsque nous gouvernons ».

Assez d’ironie, venons-en aux faits. Le gouvernement ontarien ne chôme pas en cette fin d’automne 2022, c’est le moins que l’on puisse dire. Déjà au front sur le terrain du logement avec son controversé projet de loi 23, il s’efforce également de tuer dans l’œuf le mouvement de grève du personnel de soutien des écoles ontariennes visant à l’amélioration de ses conditions de travail.

C’est en effet avec l’adoption, jeudi dernier, du projet de loi 28 que le gouvernement de l’Ontario a répondu au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). Alors que ce dernier réclamait notamment une augmentation des salaires à hauteur de 11 % par an sur les quatre prochaines années, la législation imposée limite à 2,5 % la revalorisation annuelle pour les employé.e.s rémunéré.e.s en dessous de 43 000 $ et 1,5 % pour les autres, comme l’indique Radio-Canada. En plus de mettre fin aux négociations, cette loi spéciale permet également au gouvernement d’attribuer des amendes aux récalcitrant.e.s. Il en va de 4000 $ pour le.la travailleur.se réfractaire à 500 000 $ pour le syndicat, et ce par jour de travail chômé.

Si l’aspect financier du projet de loi dévoile l’écart entre les revendications syndicales et la considération du gouvernement provincial pour ses fonctionnaires, c’est l’appel à la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés, rendant illégal le débrayage des employé.e.s de soutien, qui interpelle le plus.

Comme le rappelle Inès Rebei, journaliste chez ONFR+, cette clause dérogatoire « permet à tout.e Premier.e ministre provincial.e ou fédéral.e qui l’invoque de soustraire une loi à tout recours judiciaire fondé sur certains droits inclus dans la Charte, pendant cinq ans renouvelables ». L’administration Ford usant de cette clause pour la deuxième fois depuis sa première élection, tout en étant la première à l’utiliser depuis sa création, le doute n’est plus permis quant à la vision du politique de ce gouvernement. Vous nous avez élus ? Alors maintenant laissez-nous gouverner !

Même le Premier ministre fédéral s’est senti obligé de rappeler à Ford que les droits des travailleur.se.s, dont celui de faire grève, font partie intégrante des droits fondamentaux de la population. Toutefois, comme il en avait déjà fait preuve maintes fois par le passé, et notamment à propos de la francophonie, le gouvernement progressiste-conservateur ne s’embarrasse pas avec les détails démocratiques. Après tout, à quoi bon mettre les formes quand une clause permet de faire fi de toutes contestations ?

Si Justin Trudeau affirmait mercredi que le gouvernement fédéral allait se pencher sur les manières de répondre à cette clause, aucun recours législatif n’est pour le moment possible pour les travailleur.se.s de la fonction publique ontarienne. Ceux.celles-ci ont donc tout intérêt à poursuivre leur mobilisation jusqu’à obtenir gain de cause, puisqu’il est ici question de la remise en cause des fondements démocratiques et politiques de la société canadienne. En effet, si la situation non seulement risque de créer un dangereux précédent pour les négociations futures des droits des travailleur.se.s, elle intervient également comme un affront aux lois suprêmes et aux valeurs de l’État canadien.

Dans quelles mesures un gouvernement provincial peut-il imposer ce genre de législation à ses fonctionnaires de l’éducation tout en arguant agir pour sa population ? Quelle sera la prochaine étape si le syndicat poursuit sa mobilisation comme il a prévu de le faire et refuse de payer les amendes prévues par le projet de loi ? Quel message envoie Stephen Lecce, ministre de l’Éducation depuis trois ans, quand il répète à plusieurs reprises que le gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin à cette « perturbation inacceptable » ?

Nous noterons au passage le mépris et la décomplexion à peine voilé.e.s dans le langage du ministre. Non, un mouvement de pression reconnu dans la Charte des droits et libertés n’est pas une « perturbation », mais l’expression légale des travailleur.se.s pour la défense de leurs droits. Quant au qualificatif « inacceptable », ce n’est pas vous monsieur le ministre, du haut de vos trois ans de mandat, qui avez le pouvoir de juger de ce qui est acceptable ou non, mais les textes de loi qui régissent la société canadienne, comme dans tout État de droit d’ailleurs.

Relevons, de plus, l’habileté communicationnelle du ministre, accusant le mouvement du personnel de soutien d’affecter l’éducation des élèves. Ces élèves, monsieur Lecce, ne seraient-ils.elles pas gagnant.e.s à bénéficier de prestations réalisées par un personnel rémunéré à la hauteur de son investissement ? Ne croyez-vous pas, vous qui émargez à plus de 165 000 $ par an grâce à votre élection par les citoyen.ne.s, que l’environnement général du milieu éducatif bénéficierait d’une rémunération décente de ses acteur.ice.s ?

Ne venez pas nous faire croire que l’adoption de cette loi spéciale s’inscrit dans votre volonté de protéger l’éducation. Votre gouvernement a déjà prouvé dans le passé son indifférence à l’égard de cet enjeu, que ce soit par la tentative d’annulation du projet de l’Université de l’Ontario français en 2018 ou les coupures budgétaires en 2019, entre autres. Il s’agit simplement d’un nouveau chapitre inscrit à l’œuvre de l’administration Ford qui, pour atteindre ses objectifs budgétaires, n’hésite pas à rogner toujours un peu plus sur la démocratie.



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