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Éditorial

L’étrange cas du cannabis à des fins médicales au Canada

Actualités
12 novembre 2012

– Par Vincent Rioux –

illustration Maxime Charlebois

Contrairement aux États américains du Colorado et de Washington, le cannabis n’est pas légal à des fins récréatives au Canada (voir p. 9-10). Toutefois, depuis 2001, le Canada permet la consommation de marijuana à des fins médicales. C’est l’actuel recteur de l’Université d’Ottawa lui-même, Allan Rock, alors qu’il était ministre de santé sous le gouvernement Chrétien, qui a pris cette décision. Or, un peu plus d’une décennie plus tard, on voit bien qu’il y a encore beaucoup à faire pour aider les patients qui bénéficieraient des effets de cette plante, surtout depuis l’arrivée des Conservateurs à Ottawa, eux qui ont coupé les fonds de recherches pour la marijuana à des fins médicales en 2006.

Pour voir comment s’en sortent les malades, je suis allé à la rencontre d’un détenteur de licence lui autorisant la consommation de la marijuana à des fins médicales.

David* est malade depuis longtemps. Depuis presque toujours. Atteint d’une maladie grave qui affaiblit son système immunitaire, David a pris toutes sortes de médicaments dits « conventionnels » avant qu’il puisse, enfin, avoir accès à de la marijuana légalement. Pour ce faire, il a dû prouver à son médecin que les médicaments qu’il lui prescrivait étaient néfastes pour sa santé, santé qu’il a ruiné pendant des années pour finalement avoir accès au cannabis légalement.

Après cette longue et difficile aventure avec les médicaments commerciaux, David est reconnu par le gouvernement comme un patient qui peut consommer de la mari légalement. Il fait partie de ces quelque 13 000 patients canadiens qui ont un permis en bonne et due forme. Aujourd’hui, David fait pousser ses plants chez lui. Mais ça n’a pas toujours été facile pour lui d’avoir accès à ce traitement naturel.

Pendant dix ans, David prenait tous les jours les amphétamines que son médecin lui prescrivait. Pour lui, ces années ont été passées à acheter tous les médicaments que son médecin lui recommandait et à s’intoxiquer sur ses conseils. À force d’ingurgiter ces médicaments chimiques, son estomac en a pris un coup: « Maintenant, je ne peux plus manger de gluten [présent dans le blé et diverses céréales], sinon je deviens malade. » Diarrhée, vomissements, perte d’appétit etc.: la vie de David est un véritable calvaire sans marijuana. « Je ne peux pas fonctionner et avoir une journée normale si je n’ai pas de mari », constate-t-il.

Durant son adolescence, David suivait les conseils de ses parents ainsi que de ses professeurs. Il ne consommait ni drogues, ni alcool. « Ma mère me disait que c’était mal de fumer de la marijuana. Je l’ai écouté aveuglément pendant longtemps. » Or, comme beaucoup d’adolescents de 15 ans, David a fini par succomber au désir d’essayer. Depuis, il n’a jamais arrêté.

« [Le cannabis] est la meilleure plante sur cette planète. Elle est extrêmement bonne pour la santé. Vous pouvez essayer toutes les plantes biologiques que vous trouverez au magasin, aucune n’arrivera à la cheville du cannabis », assure David qui préfère manger la plante plutôt que la fumer.

Les lacunes du système canadien

Maintenant que David a une prescription de son médecin, il peut consommer de la marijuana en toute quiétude. Du moins, quand il réussit à mettre la main sur du bon pot.

Les plants qu’il fait pousser ne sont pas suffisant pour suffire à sa consommation: « Je ne réussis pas à combler mes besoins. C’est pourquoi je n’ai d’autres choix que de me tourner vers le marché noir pour me procurer ma médication. »

Cette situation est dérangeante. D’abord, la marijuana qu’il pourrait acheter du gouvernement est de trop mauvaise qualité, surtout depuis que le gouvernement conservateur de Stephen Harper est au pouvoir. Ensuite, il est forcé de commettre un acte criminel pour se procurer son médicament. Depuis qu’il a 15 ans, il estime avoir dépensé près de 60 000 dollars en cannabis illicite.

Outre le fait d’encourager le marché noir et les réseaux criminels, David voit un vrai problème dans le fait de s’approvisionner au noir.

« Les dealers veulent juste faire du cash. C’est pourquoi leur mari n’est pas aussi bonne que celle que je fais pousser. La plupart du temps, on ne sait même pas dans quelle condition la plante a poussé. Il arrive souvent que le cultivateur de cannabis décide de couper la plante même si elle aurait encore besoin de quelques semaines enracinée », explique-t-il.

Selon David, cela est dû à la manière dont le cannabis est vendu. Puisque le prix de la marijuana est déterminé par son poids, les cultivateurs n’ont qu’à s’assurer que celle-ci aura le poids voulu une fois qu’elle sera séchée et prête à être consommée. En d’autres termes, ils ne prennent pas le soin de s’assurer que la plante a terminé sa croissance.

Bien que la consommation de marijuana à des fins médicales soit légale depuis maintenant plus de dix ans, le cas de David montre que les patients qui ont besoin de cannabis pour des fins médicales éprouvent encore des difficultés à se soigner au Canada. Les explications fournies dans les médias par le gouvernement conservateur sont incohérentes et aberrantes. Stephen Harper, fidèle au discours typique du parti dont il est issu, continue à dire aux Canadiens qu’en tant que père, il ne voudrait pas voir ses enfants consommer de la drogue.

Mais, juste en passant, mon Steph: en 2012, au Canada, c’est pas mal plus facile pour un mineur de se procurer de la drogue que de s’acheter une caisse de six bières, pour laquelle le mineur en question devrait se procurer de fausses cartes d’identité ou espérer bluffer le caissier par son air assuré. Le dealer, lui, ne se montre pas aussi regardant: tout ce qu’il veut, c’est faire rouler son business.

Avec la légalisation du cannabis aux États-Unis qui gagne en popularité et les Libéraux du Canada qui se sont positionnés en faveur de la légalisation, ce n’est plus qu’une question de temps avant que cette plante ne devienne légale.

*nom fictif

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