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Éditorial

M. le Pape, confessez le péché !

Rédaction
5 juillet 2021

Crédit visuel : Unsplash

 Éditorial rédigé par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef  

Le 6 juin dernier, le pape François a publié un tweet pour « exprimer sa proximité avec le peuple canadien », face à la découverte dévastatrice des corps de 215 enfants autochtones. Néanmoins, sa réponse, censée être une pensée sincère pour les victimes, apparaît comme froide et dénuée de sens étant donné le rôle de l’Église dans ces décès. Ce qui est souhaité et nécessaire, ce sont des excuses.

Rappelons que la facture des pensionnats autochtones était l’abus physique et émotionnel infligé aux « élèves » qui a eu des effets à long terme sur les survivant.e.s de ces prisons. Traumatismes intergénérationnels, perte d’identité culturelle et détresse mentale ne sont que quelques effets à citer. Il ne faut pas oublier  les enfants qui ont été envoyé.e.s dans les pensionnats mais qui ne sont jamais revenu.e.s dans leur communauté d’origine. 

Raymond Frogner, Chef des archives, du Centre national pour la vérité et la réconciliation, précise que 150 000 enfants autochtones sont passé.e.s par le système des pensionnats et la Commission de vérité et de réconciliation a conclu que plus de 4 100 enfants sont mort.e.s alors qu’ils.elles fréquentaient un pensionnat. 

Malheureusement et honteusement, les acteur.rice.s de ces dégâts ne semblent pas tou.te.s être en mesure de reconnaître et demander le fameux pardon chrétien.

Moment opportun

Si on tente de cerner les raisons de ce refus du pape, on a affaire à une énigme absurde et indéchiffrable.  

On sait depuis très longtemps que la participation des Catholiques était irréfutable au sein du système des pensionnats. En effet, selon Frogner, sur les 139 pensionnats officiellement documentés au Canada, la grande majorité était dirigée par des ordres catholiques.

Il convient aussi de noter que les autres « écoles » au Canada, une minorité, étaient dirigées par d’autres Églises chrétiennes. Elles ont depuis présenté des excuses pour leur rôle dans le système des pensionnats indiens : l’Église unie en 1981, les Anglicans en 1992, puis l’Église presbytérienne en 1994. 

27 ans plus tard… rien, nada, zilch de la part de l’Église catholique !

Cela fait des décennies que les peuples autochtones du Canada demandent des excuses aux maîtres d’œuvre du système des pensionnats « indiens ».  Cependant, est-ce vraiment une surprise qu’on n’écoute pas les demandes des peuples autochtones ? Comme l’histoire du passé et du présent l’ont montré, les voix autochtones sont systématiquement étouffées. 

Le plus surprenant de tout cela est que l’on s’attendait presque à ce que le pape François soit celui qui saisisse l’occasion pour entamer ce long processus de réconciliation. Il s’agit d’un chef religieux qui a déjà présenté des excuses pour la façon dont les Catholiques ont traité les peuples indigènes à travers les Amériques. 

Mais surtout, il est témoin des conséquences navrantes d’une trop grande proximité entre l’Église et l’État dans un but de persécution. Il a servi en tant que Jésuite pendant toute la durée de la guerre sale en Argentine, au cours de laquelle des milliers de personnes ont disparu sans laisser de trace. Tout comme les milliers d’enfants autochtones au Canada…

Entre désaccords… 

Plusieurs penseraient que l’argent est le motif pour lequel l’Église catholique ne veut pas s’engager à présenter des excuses. Déjà ce n’est pas une très bonne raison puisque le Vatican peut se targuer d’une des plus grandes richesses du monde…

Kevin Flynn, directeur des études anglicanes à l’Université Saint-Paul, met en avant les motifs ecclésiastiques, c’est-à-dire religieux, qui motiveraient le refus de l’Église d’exprimer ses regrets. Le pape ne veut pas imposer des excuses aux évêques canadiens qui ne s’accordent pas sur une résolution commune. 

Parmi les évêques canadiens, il y a de bonnes pommes. Donald Bolen, archevêque en Saskatchewan, a ouvert en 2018 une nouvelle voie vers la réconciliation en créant une Commission dans son diocèse pour la vérité et la réconciliation. 

Toutefois, les pommes pourries sont celles qui posent problème. 

Flynn indique que la plupart des évêques qui ne souhaitent pas que l’Église catholique présente des excuses officielles s’appuient sur l’explication ecclésiastique suivante : les pensionnats étaient gérés par des ordres catholiques et non par des églises. L’Église catholique n’a donc pas l’obligation de s’excuser. 

N’est-ce pas odieux de contempler un tel manque de solidarité, l’un des principes supposés de la foi catholique ? 

De plus, quiconque a la moindre connaissance de la structure de l’Église catholique sait que cette dernière explication est illogique. La structure de l’Église catholique est stricte et rigide. Les agent.e.s qui la composent, tels que les évêques et les prêtres, agissent qu’avec les ordres d’en haut, c’est-à-dire du Vatican. Et lorsque ces agent.e.s sont en désaccord avec le Vatican, ils.elles risquent l’excommunication. Les ordres et les églises catholiques ne sont pas des entités autonomes. 

…et ignorance 

D’autant plus choquantes sont l’ignorance et la froideur dont font preuve plusieurs évêques canadiens dans leur réaction à cette affaire. Un est Richard Gagnon, le chef des évêques catholiques canadiens, qui a laissé entendre dans un sermon prononcé le 27 juin qu’il se sentait « persécuté » depuis la récente découverte des tombes. Vous savez qui a été et continue à être persécuté ? Les peuples autochtones du Canada. 

D’autres, comme l’archevêque d’Ottawa-Cornwall, Marcel Damphousse, semblent bien intentionné.e.s, mais font preuve d’une incroyable ignorance. Dans une entrevue accordée à l’émission Ottawa Morning de la radio CBC, il admet ne pas savoir grand-chose sur les pensionnats. Ironiquement, cela vient d’un homme qui a servi pendant de nombreuses années à Sault-Sainte-Marie, un centre urbain où vit une importante population autochtone.

Plaidoyer pour une action réparatrice

Des excuses de la part du pape seraient loin d’être juste « symboliques ». Elles seraient plutôt un pas historique vers une vraie réconciliation. Parce que l’absence d’excuses équivaut simplement à un manque de compassion pour cette partie sombre de l’histoire canadienne. Et cela est inacceptable. 

Selon Frogner, « l’idée de réconciliation consiste à établir et maintenir une relation de respect réciproque entre les peuples autochtones et allochtones, et pour y arriver, il faut prendre conscience du passé ».  Les excuses du pape pourraient être l’élément déclencheur pour bien établir cette relation de respect mutuel. 

Flynn, de son côté, rappelle que le nom de la commission chargée de découvrir et de révéler les méfaits commis contre les autochtones est « vérité et réconciliation ». Selon lui, pour avoir une réconciliation, il faut la vérité. 

« On peut dire que la vérité n’est pas abstraite, mais qu’elle est toujours personnelle au fond. Sans que quelqu’un puisse au nom de cette communauté [l’Église catholique] exprimer la vérité, la réconciliation ne peut pas avancer », poursuit-il. 

De toute évidence, ces excuses tant attendues ne se feront pas entendre du jour au lendemain. Toutefois, le pape prévoit une rencontre avec des chef.fe.s autochtones en décembre, ce qui laisse entrevoir une certaine lueur d’espoir. Espérons que le pape se rende compte de ce qui est juste et bon, et qu’il formulera les excuses que tant de canadien.ne.s réclament et méritent. 

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