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Éditorial

Marchandisation de la solidarité et autres infamies

Web-Rotonde
11 novembre 2013

Crédit : Nicholas DuBois

 

 

 

 

 

 

 

– Par Ghassen Athmni –

Le Complexe sportif Minto a connu durant les dernières semaines, un certain manège entourant l’évènement intitulé, Pink the Rink. L’évènement en question consiste en une rencontre de hockey féminin entre les Gee-Gees et leurs rivales locales, les Ravens de Carleton. De tels matchs sont organisés un peu partout, Pink the Rink, étant une campagne qui ne s’arrête pas à Ottawa, ni même au Hockey féminin universitaire. L’objectif, c’est d’amasser de l’argent en vue de financer la recherche sur le cancer du sein et de conscientiser le public à propos de l’importance de la lutte contre cette maladie. Sur une échelle beaucoup plus importante, le mois de novembre coïncide, vous l’aurez deviné, avec Movember, une autre campagne qui fait appel à la solidarité, cette fois pour combattre le cancer de la prostate et pour laquelle les messieurs doivent laisser pousser leur moustache (quoi de plus original?).

La motivation originelle de ce genre de phénomènes est indéniablement louable, la solidarité face à un danger qui menace tout un chacun n’est pas à écarter, simplement l’équation est un brin plus complexe. D’une part le recours, de plus en plus fréquent et de plus en plus instrumentalisé médiatiquement à ces moyens pour financer la recherche scientifique laisse des questions en suspens par rapport au rôle de l’état. D’autre part, il est de plus en plus flagrant que l’essence des mouvements de solidarité et des actions de charité, est travestie par l’ordre dominant, les campagnes sont vidées de leur sens laissant place à des fétiches incongrus ou encore à un marché de la satisfaction morale et du sens du devoir accompli.

Un problème de fondamentale

D’un point de vue pratique, les collectes de fonds et autres œuvres de charité posent une question essentielle : à quel point sont-elles efficaces? Il n’est pas question de nier les apports épisodiques de telles actions mais plutôt d’en questionner la pertinence à grande échelle. Après tout, elles n’offrent pas forcément de garanties sur leurs débouchées, du moins tant qu’elles ne peuvent garantir l’acquisition de moyens permettant de changer la donne radicalement. C’est l’État, avec son arsenal juridique, ses équipements, son budget, qui est à même de répondre à de tels besoins. La multitude d’initiatives qui poussent comme des champignons ne semble pas offrir les conditions d’un suivi et d’une planification indispensable à la bonne gestion d’une lutte contre une maladie ou une autre. Avec tout ce qui gangrène l’industrie médicale, et le peu de retombées tangibles, il est nécessaire que l’État reprenne le rôle qui lui échoit en consacrant plus de moyens aux recherches.

Le culte de l’exercice

Du rose pour les demoiselles, des moustaches pour les petits messieurs, rien de moins difficile. Les masses sont appelées à perpétuer les mêmes mouvements, et tous rentrer dans la même danse. Les hockeyeurs des Sénateurs d’Ottawa, les célébrités de l’industrie du disque et du cinéma, les politiciens, toute la classe des médias nous encourage à faire pousser nos moustaches, au point que l’exercice est devenu la fin en soi. L’objectif premier est mis de côté, vu que ses résultats ne sont pas mesurables proportionnellement au nombre de ceux qui arborent cette touffe de poils entre leur lèvre supérieure et leurs narines, souvent dans ce qui ressemble plus à un cliché de parade sexuelle qu’à une prise de conscience des entraves au progrès des travaux scientifiques sur les maladies touchant les hommes.

La corruption de la charité

Pour le Match en rose, dénomination francophone de Pink the Rink, l’exercice est tout de même moins fétichiste, les résultats sont, toute proportion gardée, plus effectifs, mais l’évènement est étroitement lié au merchandising, à l’achat de produits estampillés « charitables ». C’est un peu comme acheter du café chez Starbucks parce qu’ils développent des « directives d’approvisionnement éthique », du fair trade, en d’autres termes. C’est la contradiction même du principe premier de la solidarité et du don d’argent qui est essentiellement anticonsumériste parce que dépourvu d’intérêt consumériste. Quand acheter est perçu comme un acte de solidarité, un acquittement de devoirs envers ses semblables et envers l’éthique, voire même de soutien à des luttes paysannes ou ouvrières, les rapports à ces causes sont instantanément dénaturées et corrompues. Ce propos vise moins à décourager les gens de se procurer un produit ou un autre, de chez une firme ou une autre, qu’à essayer de pointer les projecteurs sur le tartuffe de certaines pratiques qui n’en finissent pas de s’enraciner.

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