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Éditorial

Les mouvements sociaux et l’art d’attirer le monde

Rédaction
14 janvier 2019

Éditorial

Par Mathieu Tovar-Poitras – Rédacteur en chef

Les mobilisations et les mouvements sociaux sont des phénomènes occupant une partie importante au sein d’une société et sa dynamique. Les incitatifs derrière ces différentes initiatives changent, mais leur essence reste la même, attirer l’attention pour faire passer un message.

Le cas actuel qui s’est fait connaître à l’échelle mondiale est celui des Gilets jaunes en France. Mais, comment ce mouvement spontané a-t-il su dominer non seulement les plateformes médiatiques, mais aussi l’imagerie populaire ? Plusieurs théories permettent de décortiquer les mouvements sociaux et offrent des pistes de réflexion quant à l’efficacité d’une mobilisation populaire.

Le politologue Ted Gurr a ciblé la frustration individuelle comme étant le fondement du mouvement collectif. Toutefois, cette dernière est relative, dans la mesure où elle émerge suite à la comparaison des biens attendus par une personne et les biens disponibles dans la réalité. Gurr propose alors trois modèles : déclinant (dégradation des biens disponibles), aspirationnel (hausse des attentes), et progressif (quand les attentes augmentent, mais la disponibilité réelle détériore). Chacun de ces modèles permet de catégoriser la frustration sociale. Le troisième est notamment illustré par une phase prospère de croissance suivie par une crise économique. Dans le cas des Gilets jaunes, cette disparité entre ce qui est attendu et la réalité entourant le prix de l’essence à la pompe a agi comme étincelle.

Mais là encore, pourquoi se mobiliser ? Quels sont les bénéfices et les incitatifs poussant des individus à prendre part au mouvement ? Il y a d’une part le comportement collectif d’une masse qui identifie parmi les individus une frustration commune. D’autre part, d’un point de vue économique, une personne rationnelle agira en fonction du calcul des coûts et des bénéfices de son action.

Parfois, ce n’est pas assez. Une personne peut être frustrée et rationnellement estimer retirer des bénéfices à se voir prendre part au mouvement, sans pourtant s’y impliquer. Ce paradoxe, dit d’Olson, explique les fluctuations de manifestants sur le terrain sans toutefois que cette variable soit en corrélation parfaite avec la satisfaction populaire. L’individu qui ne participe pas, mais appuie la cause, bénéficiera du mouvement même s’il n’est qu’un observateur.

Une fois le mouvement lancé et appuyé par une solide base d’individus, elle s’effritera si les acteurs ne s’entendent pas sur le sens de l’action collective. Entrent alors en jeu les cadres de Goffman. Cette théorie emploie la capacité du mouvement à trouver écho chez autrui pour décrire son évolution. Le tout se fonde sur la capacité d’un petit groupe à démontrer que des inégalités sont un problème social auquel ils ont la solution. On amplifie alors le mouvement en élargissant le cadre initial et en politisant l’affaire.

Le mouvement en France illustre cette théorie ; initialement, le cadre était le rejet de la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, mais il s’est ensuite étendu vers d’autres sphères, économiques puis politiques. L’objectif ultime est de remplacer le cadre existant par celui avancé par le mouvement.

En gros, la recette proposée par la théorie des cadres est d’abord le rapprochement de cadres non connectés, mais proches idéologiquement. On l’amplifie ensuite en l’idéalisant, le clarifiant pour résonner avec des valeurs populaires et ainsi résonner avec le plus de personnes. Il y a extension du cadre pour aller au-delà des intérêts initiaux et étendre ses revendications à des champs d’intérêts importants aux yeux de personnes n’ayant pas pleinement adhéré au mouvement.

Attirer l’attention

Ces théories décortiquent les mouvements sociaux avec des fondements différents, mais complémentaires. Elles ont par contre un point en commun, le besoin d’un mouvement de croître, d’attirer plus d’adhérents potentiels. La réalité contemporaine rend cela beaucoup plus facile avec les médias sociaux et les formes variées de diffusion instantanée.

Pour reprendre le cas français, les images du mouvement ont fait du gilet jaune un symbole de contestation. D’ailleurs, ce serait entre autres pour cette raison que l’Égypte en a interdit la vente sauf avec autorisation préalable par les autorités. Les vidéos et les images en direct ont été vues par des millions de personnes. Ceci étant dit, la réelle utilité de ces plateformes reste la communication organisationnelle des mouvements.

Compte tenu de la spontanéité des mobilisations idéologiques, les médias sociaux se veulent être l’outil primaire pour gérer un groupe, partager des idées et mettre sur pied des rassemblements. Que ce soit par le recours à des mots-clics ou simplement servir de véhicule pour du journalisme citoyen, les médias sociaux sont devenus incontournables par leur universalité et l’étendue de leurs réseaux.

Toutefois, il y a un revers à la médaille. Si ces plateformes permettent de partager l’information, certaines personnes transmettent des nouvelles à la véracité chancelante. C’est parfois dans le but de chercher désespérément de l’appui pour sa cause, tenter par tous les moyens de faire perdre de la crédibilité aux manifestants, ou par ignorance. Le mouvement des Gilets jaunes a fait connaître plusieurs incidents de cette nature : le recyclage d’une photographie de 2014, l’atteinte à l’intégrité d’une image par France 3, et la confusion entre des supporters du club de rugby de Clermont-Auvergne et des Gilets jaunes.

Des plateformes pour en faire plus

L’émergence du numérique dans les outils médiatiques a développé l’accessibilité aux mouvements collectifs. Sa particularité est la malléabilité des cadres des mouvements pour faciliter, et même encourager, une convergence des luttes sociales. La hausse de réactivité que génèrent des plateformes  sociales a aussi permis de gérer des situations qui, en théorie, se seraient avérées longues et ardues à résoudre.

Le cas récent de la jeune Saoudienne Rahaf Mohammed al-Qunun en est un bon exemple. Par l’entremise de Twitter, elle s’est fait connaître en dévoilant s’être enfuie de sa famille puis s’être barricadée à Bangkok, en Thaïlande. Après des péripéties politiques et juridiques, le gouvernement canadien lui a accordé l’asile.

Le renouveau de la contestation se vante de sa rapidité d’action. Mais il impose davantage que simplement raccourcir les délais de mobilisation. Il rallie sous une même bannière une foule de revendications en cherchant d’abord et avant tout à attirer l’attention. Les militants passent d’un mouvement à l’autre dans le flux qu’est devenue la contestation sociale. L’individualisation du militant au sein du mouvement soulève la question de l’opposition entre l’adhésion au mouvement et l’association à celui-ci.

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