Inscrire un terme

Retour
Éditorial

Musée des Beaux-arts: L’art de faire passer des artistes controversés

Rédaction
24 juin 2019

Par Emmanuelle Gingras

Pour colorer l’été, le Musée des Beaux-arts du Canada (MDBA) propose comme exposition temporaire une série de portrait du peintre Paul Gauguin qui débutait le 24 mai passé, et ce, jusqu’au 8 septembre 2019. Peintre révolutionnaire, ce n’est pas que par le style que Gauguin choquait; son voyage exotique en Polynésie lui ont valut inspiration esthétique, mais aussi charnelle. Tourisme sexuel et pédophilie en jeu, La Rotonde a donc approché le MDBA pour discuter du processus de mise en place d’un peintre de grande controverse.

C’est sur une période de cinq ans que le MDBA prépare cette exposition de grande envergure. Sa particularité; il s’agit de la première exposition du Canada centré sur le genre du portrait dans son œuvre. « Nous observons un bel engouement pour Gauguin. Portraits chez nos visiteurs, qui apprécient de pouvoir découvrir une facette méconnue de l’œuvre de Gauguin. », souligne Josée-Britanie Mallet, agente principale des relations publiques et médiatiques du Musée.

Un retour de controverse?

C’est toutefois la période de son arrivée en Polynésie en 1891 qui avait entre autre soulevé un polémique qui avait fait surface en 2017, lors de la sortie du film Gauguin : Voyage de Tahiti. Plusieurs ont souhaité rappeler l’indécence du comportement du peintre et la vérité au sujet de son voyage entrepris à des buts d’« inspiration ».

Dans un article de Jeune Afrique intitulé Gauguin — Voyage de Tahiti : la pédophilie est moins grave sous les tropiques, Léo Pajon rappelle que « L’artiste, présenté comme un marginal qui ne veut rien avoir à faire avec les colons français de l’île, se comporte en fait en tous points comme eux en ce qui concerne ses relations amoureuses et sexuelles ». En effet, Gauguin s’est lié à de jeunes filles de 13-14 ans au courant de ses séjours en Tahiti et dans Les Marquises.

Toutefois, l’acte ne peut être justifié par l’époque : « Là-bas, tout était autorisé. Tout ce qui était interdit ici [en France] était possible là-bas. Toutes les violences, tous les soi-disant plaisirs, toute la prostitution, toutes les libertés étaient autorisés parce que c’était des colonies. » comme le souligne Pascal Blanchard, historien spécialisé du colonialisme français.

Mallet souligne que l’équipe du Musée sont bel et bien sensible à la vie personnelle de Gauguin comme émetteur de malaise chez certains visiteurs. « C’est pourquoi nous abordons le comportement patriarcal, sexiste et colonial de Gauguin à l’égard de ses modèles féminins dans les cartels de l’exposition, la vidéo qui y est présentée, et dans le catalogue qui accompagne l’exposition », précise-t-elle. Celle-ci souligne aussi qu’un programme de conférence et de causerie n’omet pas d’éclairer sur la période dont venaient Gauguin et l’évolution de sa pratique artistique.

« Le Musée travaille à présenter les œuvres d’artistes qui ont contribué à façonner l’histoire de l’art et à contextualiser leur œuvre aussi bien au regard de la société dans laquelle ils ont vécu que de nos préoccupations actuelles. Le rôle du Musée est d’apporter une perspective critique sur leur pratique artistique et l’influence de leur art; mieux comprendre le passé permet d’illuminer le présent. » souligne Mallet en entrevue avec La Rotonde.

La contradiction passive

Dans un article de La Presse sur l’exposition de Gauguin, Éric Clément exprime que l’exposition accordée aux modèles féminins polynésiens comme étant « intéressantes ». Soulignant toutefois que le Musée aurait omis de présenter certains classiques du peintre en prenant pour exemple Le rêve (1897), Eh quoi, tu es jaloux (1892) et Le germe des Areois (1892) qui, surprise, présentent des Polynésiennes nues. Pour répondre à cette quête, il suffirait de dire qu’il est ambigu de connaître l’âge des femmes qui font objet de ses œuvres.

Au contraire, dans la section de Gauguin centré sur les modèles féminins, les Polynésiennes sont presque toutes vêtues de robes européennes; un écho à la colonisation. La section présente ce qu’ils appellent la prise de conscience de Gauguin à la corruption des valeurs européennes :  

« Ses portraits de modèles féminins indigènes reflètent l’attitude complexe de l’artiste — émanant à la fois de sa position privilégiée d’homme occidental issu d’une nation colonisatrice et patriarcale et de son engagement sincère envers cette nouvelle culture et ses habitants », tels qu’écrit sur les murs de l’exposition.

La constatation de Léo Pajon sur la contradiction de Gauguin est palpable et s’applique peut-être même chez les organisateurs de l’exposition, qui n’ont presque pas suscité les œuvres à caractères érotiques et sensuelles. On y saisit presqu’une valorisation la bonne conscience humanitaire du peintre.

Un paragraphe sur les murs de l’exposition est toutefois bel et bien accordé à souligner son alliance avec Teha’amana, son épouse de 13-14 ans. Celui-ci est bref.

Ayant toujours eu le souhait de se distancer de l’impressionnisme français, Gauguin fut une inspiration pour le courant artistique moderne. Il peut être compréhensible de souhaiter distinguer l’artiste de son œuvre, et l’historien de l’art s’intéressa certainement à l’avant-gardisme du peintre. La transparence dans ce genre de contexte semble donc primordiale. Ne soyons pas aveugles à une réalité et ne justifions pas la tourmente d’un révolutionnaire simplement puisqu’il est artiste.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire