Ne pas réserver l’intimité émotionnelle qu’à ses partenaires romantiques
Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Rédactrice en chef
Chronique rédigée par Mabinty Touré — Journaliste
Avez-vous déjà eu l’impression que vous n’étiez digne de recevoir des gestes de tendresse ou d’amour que dans une relation amoureuse ? Il y a quelques années, cela fut également mon cas. Il a fallu que je rencontre des personnes formidables au secondaire, qui m’ont permis de repousser les limites de l’intimité émotionnelle et de redécouvrir ce qu’est l’amitié. Aujourd’hui, je partage mon expérience.
Qu’est-ce que l’amatonormativité ?
Avant de vous parler de mon expérience personnelle, j’aimerais vous faire part d’un concept que j’ai découvert durant l’écriture de cette chronique. Je parle de l’amatonormativité, un terme inventé par Elizabeth Brake, une professeure de philosophie à l’Université Rice, au Texas. Cette notion, qui s’inscrit plus particulièrement dans le monde occidental, décrit « l’hypothèse selon laquelle tous les êtres humains recherchent l’amour ou la romance, en particulier par le biais d’une relation monogame à long terme ».
Pour aller plus en profondeur, cette idée suggère que tout le monde veut se marier et que les personnes non mariées sont malheureuses ou seules, mais aussi que les relations amoureuses sont plus importantes que les amitiés. À travers les médias, et les différentes structures sociales avec lesquelles j’ai interagi, j’ai toujours remarqué que l’amitié était une forme de relation tout à la fois valorisée et négligée.
Lorsque j’étais jeune, je me suis souvent sentie insatisfaite des amitiés que je créais, en raison de leur manque de profondeur. J’observais souvent les amitiés de ma mère, qui étaient fascinantes et la rendaient épanouie, et c’était ce que je recherchais. Cependant, en raison de toutes ces contraintes que je viens de vous mentionner, il m’était difficile de former ce type de relations.
Un plus grand degré de proximité
Après plusieurs amitiés catastrophiques où l’on me reprochait « d’être trop investie » et de « donner beaucoup trop d’amour », j’ai fini par trouver chaussure à mes pieds. J’ai rencontré dans les dernières années du secondaire mes meilleur.e.s ami.e.s, ce qui m’a permis d’élargir ma définition de l’amitié au-delà des normes sociales.
Tout d’abord, je voudrais dire qu’iels m’ont montré que je n’étais pas contrainte de réserver toutes les formes de gestes de tendresse ou d’appréciation à un.e partenaire romantique. Comme l’explique l’une de mes créatrices de contenu préférées, Ismatu Gwendolyn, « le meilleur type d’intimité que j’ai jamais connu est venu de mes ami.e.s ».
Non seulement m’ont-ils.elles montré une nouvelle forme d’amour si pure, mais iels m’ont aussi appris que je pouvais être aimée profondément par d’autres personnes hors de ma famille. Mes ami.e.s ont déplacé mes standards. Iels ont essuyé mes larmes à maintes reprises. Iels rendent visite à mes parents lorsque je ne suis pas là. Même si nous ne vivons pas dans les mêmes pays, iels m’envoient des cadeaux d’anniversaire. Mes amies s’assurent de m’envoyer des messages d’appréciation assez suffisamment que je n’oublie jamais qu’iels m’aiment. Nous nous tenons la main. Je leur achète des fleurs et je leur écris des lettres d’amour. Nous avons partagé des moments tellement profonds ensemble.
En élargissant ma compréhension de l’intimité émotionnelle, j’ai pu me permettre de recevoir du soin de manière presque quotidienne. Toujours sous les mots d’Ismatu : « Il n’y a pas de hiérarchie dans l’amour. Ne réservez pas vos gestes les plus gentils à vos seul.e.s partenaires romantiques ».
La romance de l’amitié
En discutant avec différentes personnes, j’ai compris que cette notion peut paraître étrange. Lorsque j’aborde ces sujets, j’entends souvent : « mais, es-tu sûre que tu n’es pas amoureuse de ton ami.e ? » Et bien, la réponse est oui et non. Je pars du principe que la romance ne s’expérimente pas uniquement dans le cadre fermé d’une relation monogame dans laquelle on a également des relations sexuelles. Par conséquent, j’éprouve de l’amour pour mes amis.e.s, et je n’hésite pas à poser des gestes romantiques dans mes actions envers elles et eux.
J’ai donc pu découvrir le terme « la romance de l’amitié ». Cela se réfère à une amitié très proche, qui n’implique pas des relations sexuelles, mais qui a un haut degré de proximité physique. Ce type de romance me permet de ressentir du bonheur à chaque instant que je reçois un message de la part de mes ami.e.s. Je me sens appréciée et valorisée lorsque mon amie sourit sincèrement quand je l’appelle.
En déconstruisant les idées que j’avais sur l’amitié, j’ai pu découvrir une forme de relation plus facile, moins contraignante, plus durable et honnête. Plus particulièrement, je possède maintenant une communauté solide qui me permet de naviguer l’expérience humaine de façon plus agréable. Former ce type de relations demande davantage d’efforts, mais cela en vaut largement la peine sur le long terme.
Je suis consciente que ce dont je discute ici peut paraître étrange, surtout en raison de l’hétéronormativité de nos sociétés, mais également de l’allonormativité, soit « l’hypothèse selon laquelle tous les êtres humains sont allosexuels, c’est-à-dire qu’ils éprouvent une attirance sexuelle pour d’autres personnes ».
Le site web du Club de la communauté et de l’éducation asexuelle et aromantique du Smith College présente les dangers de ce type de normes. Parmi elles, l’absence de désir sexuel ou de libido peut être vue comme un problème médical, les personnes se sentent obligées d’avoir des relations romantiques ou sexuelles alors qu’elles n’en ont pas envie, ou les personnes qui n’ont pas de relations romantiques peuvent être exclues des conversations et des événements. J’ai moi-même éprouvé des sentiments d’exclusion en raison de ces normes, et face à ma décision de m’investir dans des relations platoniques.
J’espère donc que d’autres personnes se sentiront comprises par mon expérience. J’espère également que les médias donneront davantage de visibilité à ce type de relations !