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Arts et culture

Photographie de rue : comment concilier liberté artistique et droit à l’image ?

Eya Ben Nejm
8 novembre 2022

Crédit visuel : Jacob Hotte – Photographe

Article rédigée par Eya Ben Nejm – Journaliste 

Et si vous étiez un sujet parmi d’autres, affiché dans l’exposition d’un.e photographe de rue sans le savoir ? Dans la plupart des cas, l’art de la photographie de rue repose sur le caractère spontané des personnes dans l’espace public. Un.e passant.e peut devenir la matière de l’artiste. Sous l’air aventureux de cette pratique, quel est son but ? Quel rapport entretient-elle avec le rapport à l’image ? À quoi se livre l’artiste en matière de consentement et d’éthique morale ?

La photographie n’est pas un art nouveau, explique Lorraine Gilbert, artiste photographe et professeure en arts visuels à l’Université d’Ottawa. Dès l’apparition des caméras portatives dans les années 1940-1950, des photos de moments de la vie quotidienne commençaient à être prises, explique-t-elle. Durant la guerre froide, l’artiste Nikita Fedrov, basé aujourd’hui à Paris, a débuté la photographie dans une chambre étudiante, accompagné de ses amis. Il décrit la photographie de rue comme « avant tout une passion avec une sensibilité sociale ». Gilbert expose cependant les difficultés rencontrées par les artistes pratiquant cet art aujourd’hui.

Montrer une réalité sociale

La photographie de rue se différencie des autres genres photographiques par la capture vive du moment présent, explique l’artiste. Un.e photographe de rue doit gérer sa peur d’autrui et il.elle doit être convaincu.e de ses actions, indique-t-il. En ce qui concerne la prise de photo, la caméra doit être à la hauteur des hanches, révèle professeure Gilbert. Fedrov conseille néanmoins de pointer l’objectif sur la personne pour ne pas donner l’air d’un.e voleur.se de photo, pour rester respectueux.se.

Kamillia Tchamako, étudiante en deuxième année en science politique et photographe de rue amatrice, considère la photographie de rue sans filtre et naturelle car elle expose le train de vie quotidien des personnes dans l’espace public de façon sincère. La photographie de rue n’est pas à la recherche constante du beau, mais tente d’exposer une défaillance dans la société, ajoute Fedrov. Il s’agit selon lui d’un art pluridisciplinaire qui appelle à l’analyse d’un phénomène sociétal. Cela dit, Fedrov révèle que les photos prises traduisent la vérité subjective de l’artiste.

De nos jours, les photographes de rue sont mal perçu.e.s, alors qu’il n’y a rien d’immoral ou de néfaste à leur art, déclare Gilbert. Elle explique que durant les années 1990, en pleine guerre du Vietnam, la photographie de rue a permis d’apporter un témoignage authentique et historique en mettant de l’avant les  protestations. Fedrov pense qu’un travail artistique devient polémique lorsqu’il tente d’exprimer une réalité sociale, l’art ne doit selon lui pas « caresser dans le sens du poil, il doit exprimer nos préoccupations et celles de la société ».

Le droit à l’image : contrainte à la photographie de rue ?

En tant qu’artiste, Tchamako déclare parfois se remettre en question, en se demandant si la personne souhaite ou non être prise en photo. Fedrov rappelle que la prise de photo dans l’espace public fait partie du droit d’informer : l’exposition d’une photo sans autorisation n’est pas illégale en soi. Cela dit, il y a des règles à respecter, affirme Fedrov. D’abord, il distingue le public du privé, par exemple le balcon n’est pas un espace public, tout comme « un baiser entre deux amoureux.ses » relève de l’espace privé. La professeure appelle à faire la différence entre un produit commercial et l’art de la photographie de rue. Il n’est pas possible d’utiliser une photo sans le consentement du droit à l’image dans un but commercial comme dans une publicité, développe Fedrov.

Un photographe de rue a été poursuivi en justice à Montréal par la plaignante sur la photo, car le contexte décrit sous la photographie était faux, déclare Gilbert. Le photographe avait considéré la femme sur le trottoir d’une petite ruelle comme une sans-abri. En tombant sur la photographie, elle porte plainte et gagne le procès, ajoute Gilbert. Fedrov considère la photographie de rue comme une « zone grise » ; en cas de problème, il « faut se trouver un.e bon.ne avocat.e », d’où l’importance selon lui de suivre des associations qui assurent une assistance juridique.

La plupart des personnes détenant un téléphone produisent inconsciemment des photos sans le consentement d’autrui, constate Tchamako. La population est photographiée et surveillée par différents moyens pour répondre à divers intérêts, ajoute Gilbert. Tchamako prend l’exemple des réseaux sociaux et particulièrement des créateur.ice.s de vlog. Ce qui pousse la professeure à s’interroger : « à qui appartient l’espace publique ? » Quoi qu’il en soit, selon Fedrov, la photographie de rue doit respecter un code éthique, dont l’artiste doit prendre conscience pour ne pas briser la loi.

 

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