Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Que faire lorsqu’on ne pèse pas dans la balance ?

Culture
16 septembre 2019

Crédit visuel : Andrey Gosse, directeur artistique 

Chronique par Clémence Roy-Darisse chef de pupitre arts et culture

L’Université pèse aujourd’hui le poids de ses étudiant.e.s. Certain.e.s semblent valoir plus que d’autres, rapporter davantage. Que faire lorsqu’on ne pèse pas dans la balance? Afin d’y répondre, je vous plonge avec moi, le semestre passé, lorsque j’ai suivi un cours bilingue sur le marketing des arts. 

C’est la rentrée. Les allées sont remplies de clubs, de kiosques, de compagnies de carte de crédit, les églises nous attirent avec de la bouffe gratuite. Tous tentent de recruter. Les étudiant.e.s sont de merveilleux appâts. 

Je me faufile un chemin, repense à ce que mon professeur de théâtre me disait le semestre passé «l’université existe pour développer la pensée critique», peut-être qu’elle nous forme en effet à choisir le bon numéro, le bon magasin. 

Les étudiant.e.s arrivent les mains sur le panier d’achat. Frais de scolarité onéreux, manuels, chandails et pantalons aux couleurs des Gees-Gees, payer sa U-pass, son show d’accueil, sa nourriture, son café, version latte, Tim Hortons ou Starbucks en passant par Second Cup. 

Mon cellulaire vibre, me ramène à l’ordre. 13:00. C’est l’heure de mon cours bilingue en marketing des arts. 

Entrée en classe surprenante 

Je me rends rapidement en classe. Dix filles assises sur leur siège. On se fait un petit sourire timide. On attend cinq minutes, puis dix minutes. Est-ce que ça va commencer bientôt ? On essaie de se trouver quelque chose à dire. Elle n’arrive pas. Ça commence à être long, puis finalement, elle arrive. 

«Hi everybody ! I hope you are doing well !» Je me suis sûrement trompé de classe que je me dis. J’attends qu’elle parle français, c’est un cours bilingue après tout. «I am sorry, I don’t speak french so this class will mostly be in English but you are free to do your work in French». Elle affiche son plus grand sourire empathique. Je feins le mien. . Elle doit le voir dans mes yeux : «Is everything alright Ms. Roy-Darisse ?», «Yes yes everything’s good!» que je balbutie. Je le sais intrinsèquement que c’est pas elle le problème, que c’est l’institution qui affiche cette image du bilinguisme pour faire bonne figure mais qui n’y arrive pas toujours en pratique. Que c’est une histoire politique, des rapports de pouvoir inscrist. Ça bouillonne intérieurement. Je crie à l’injustice que les étudiant.e.s francophones soient placés en second plan alors que l’Université à la base était parfaitement bilingue. 

Elle nous parle de création et d’argent. Deux mots, deux univers qui ne dansent pas très bien ensemble, qui ont besoin l’un de l’autre mais qui ne s’aiment pas nécessairement. 

«You need to really sell your product, but it’s hard, nobody wants to see shows anymore». 

Ça me fait rire. J’imagine les anciens artistes rebelles qui autrefois revendiquaient sur tout maintenant transformés en fonctionnaire style The Office parce que ça gagne plus. Je les imagine brainstormer dans leur tour de verre comment attirer les 13,7 % de la population d’Ottawa, parce qu’ils sont francophones et qu’une langue c’est aussi une culture. Je les imagine mépriser les nouveaux artistes d’aujourd’hui, rire dans leur barbe des maigres salaires qu’ils font. 

Notre devoir 

Elle nous présente notre projet : écrire un pitch vendeur pour obtenir le financement d’une banque. Eh boy. Je pense à tout ce qu’on m’a dit dans les soupers de famille : « C’est pas pratique sur une île déserte ». « C’est pas stable ». « Ça fait pas de cash » et, mon préféré : « non, mais réellement, qu’est-ce que tu veux faire ? ».

J’aurais envie de répondre au PDG qu’on a besoin des arts parce qu’on les méprise. 

Ils dérangent aujourd’hui parce qu’ils ne répondent pas à la logique du marché, ils n’embellissent pas ce que nous sommes , ils nous reflètent, nous inconforte tout en nous rappelant notre nature profonde. On n’aime pas se voir dans le reflet et ça paraît. « Du pain et des jeux ». Le divertissement pleut mais les arts sont déserts. À l’heure où tous les aspects de notre vie sont réglés à l’algorithme, ceux qui s’arment de mots dérangent. 

Ma tante s’attend à ce que je gagne un Oscar alors que je n’ai même pas terminé ma demande de subvention. Mon poster d’Anne Dorval me donne espoir mais, en même temps, j’ai parfois de la misère à répondre à la question de pourquoi se mettre dans une telle situation ? Pourquoi ne pas choisir le chemin facile? 

Peut-être que finalement, moi aussi, je finirai par chanter J’aurais voulu être un artiste au karaoké le vendredi soir.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire