Crédit visuel : Emily Zaragoza
Chronique rédigée par Emily Zaragoza
J’ai un petit frère. Enfin, un très très petit frère. Il a 17 ans de moins que moi. Ce n’est même pas tout à fait mon frère, seulement mon « demi-frère ». C’est un vilain mot, « demi-frère », comme s’il n’existait qu’à moitié pour moi. Bref, j’ai un frère. Un jour, mon frère est allé chez ma mère. La mienne, pas la sienne. On a passé l’après-midi tous les quatre, ma mère, mon frère, ma sœur (pas demi, celle-là) et moi, à faire des jeux. Mes deux vies : celle chez ma mère et celle chez mon père s’étaient réunies pour construire, ensemble, une maison en LEGO.
Des parents séparés, pas besoin d’en faire un plat ?
C’était l’été de mes 11 ans. Un soir, ma mère et mon père nous ont réunis sur le grand canapé du salon. Celui en cuir marron qui fait face à la télé. Quand ils nous l’ont annoncé, ma première réaction a été de demander : « C’est une blague ? Parce que si oui, ce n’est pas drôle ! »
Ce n’était pas une blague.
Mon père a commencé à dormir sur le canapé. Trois mois plus tard, ma mère a déménagé, emportant avec elle le canapé, pas celui qui faisait face à la télé, l’autre. Mes parents se séparaient, les canapés aussi. Désormais, tout serait divisé en deux. Les meubles, les vacances, Noël. Notre vie. Une semaine, nous étions chez elle, et la suivante, chez mon père.
Le nouvel appartement de ma mère était à 800 mètres à peine. Un choix qui, pour mes parents, était une évidence. Même s’ils ne s’aimaient plus comme avant, ils s’étaient promis de faire un effort. Pour ma sœur et moi. On aurait deux vies, mais elles coexisteraient l’une et l’autre, sans insultes, sans disputes.
Quand mes parents se sont séparés, cela ne s’est pas du tout passé comme au cinéma. J’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi les films en faisaient tout un drame. Sans doute que l’épidémie de divorces autour de moi m’avait préparée à une éventuelle séparation. Au début des années 2010, c’était à la mode.
Il y avait des avantages à avoir des parents séparés : on partait plus en vacances qu’avant, et pour ne pas faire de jaloux entre mon père et ma mère, on faisait souvent les choses en double. Si bien qu’il m’arrivait de voir deux fois le même film au cinéma.
Je crois qu’au fond, je pensais presque que ce qui m’arrivait me rendait « cool » comme un.e enfant avec des béquilles qui devient le.la roi.reine de la cour de récréation avant de réaliser au bout de quelques jours que ce n’est pas si amusant. J’ai vite découvert que faire chaque semaine sa valise, ce n’est pas très agréable.
Pour être franche, le principal avantage était que, désormais, mes parents ne se criaient plus dessus. Au contraire, ils s’assureraient de parler d’une seule voix; ce qui n’était pas toujours pour me plaire lorsqu’ils se mettaient ensemble à me sermonner. Tous deux des enfants du divorce, ils étaient, plus jeunes, dans la même position que celle de ma sœur et moi. L’exemple de leurs propres familles, en bien comme en mal, leur a servi de gouvernail. Même s’ils avançaient parfois à tâtons, mes parents avaient — ont toujours — la conviction qu’avec de la volonté, ils pouvaient continuer à nous offrir un cadre stable.
Une famille recomposée, l’art du grand écart
Deux ans après, mon père nous a présenté sa nouvelle copine. Ma sœur et moi étions terrifiées à l’idée de la rencontrer. À la fin de la soirée, elle nous avouera qu’elle aussi. Elle n’avait pas d’enfant, mais était l’aînée d’une famille recomposée et avait en tout cinq frères et sœurs.
Puis, elle a emménagé avec nous. Elle vivait donc, une semaine sur deux, avec une adolescente de 14 ans et une enfant de huit ans. Malgré le fait qu’elle n’était pas maman, elle savait faire preuve de patience. Peu à peu, elle a trouvé sa place, jusqu’à faire partie de la famille.
En début d’année 2020, mon père nous a de nouveau réunis sur le canapé. Le même où, six ans plus tôt, s’était faite l’annonce de la séparation. Là encore, ma première réaction a été : « Ce n’est pas une blague, hein ? » Il faut dire que mon père est un farceur, donc je me méfie. Ce n’était pas une blague. Ma belle-mère était enceinte. Tout le monde était ravi. J’espérais de tout cœur que cela soit un garçon.
Mon petit frère est né le 15 août 2020. Un mois plus tôt, je venais de fêter mes 17 ans. Si je craignais, avant même sa naissance, qu’un tel écart rende difficiles nos relations, cela s’est finalement avéré être un véritable atout, surtout lorsqu’il était encore bébé. J’étais — quasiment — adulte, donc j’avais plus de patience avec mon frère, que n’aurait eu une sœur âgée de quelques années seulement de plus que lui.
En septembre 2021, j’ai déménagé pour étudier dans une Université à 800 kilomètres de chez moi. J’ai donc vécu un an seulement, une semaine sur deux, avec mon frère. J’ai toujours su que je voulais voir un autre coin de la France, même si la naissance de mon petit frère bouleversait mes plans. J’ai manqué ses premiers pas, sa première rentrée des classes. Si vous trouvez difficile de vivre éloigné de vos proches, imaginez avoir un petit frère de trois ans qui part en courant pendant un appel en FaceTime « parce que la Pat’Patrouille a besoin d’aide ». Pour compenser, j’essaie de savourer chaque instant passé avec lui et le reste de ma famille quand je rentre. Parce que je suis bien plus vieille, je peux lui apprendre plein de choses, mais aussi l’amener faire des activités et, surtout, on ne se dispute jamais. Avoir 17 ans d’écart a aussi ses bons côtés !
Cette année, j’étudie en échange à l’Université d’Ottawa. Pour les fêtes, ma mère, ma sœur, mon père, ma belle-mère et mon petit frère sont venu.e.s tous ensemble en voyage au Canada. La petite fille de 11 ans que j’étais n’en aurait pas cru ses yeux de les voir tous sous le même toit. Ce n’est pas un miracle de Noël, mais tout simplement la preuve qu’une séparation n’a pas à être un drame et qu’une famille recomposée peut être un merveilleux cadeau.