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Quelle solution face aux divisions canadiennes ? Éléments de réponse avec Evelyne Brie et Félix Mathieu

Johan Savoy
11 novembre 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Johan Savoy – Journaliste

Evelyne Brie et Félix Mathieu réfléchissent à travers leur ouvrage intitulé Un pays divisé, au phénomène de division régnant actuellement au Canada. Ils y explorent les causes, les courants identitaires et le rapport des différentes régions et provinces au fédéralisme, pour finalement proposer diverses solutions à cette problématique. 

Doctorante au Département de sciences politiques à l’Université de Pennsylvanie et chercheure associée au CityLAB de Berlin, Evelyne Brie explique que le projet d’un livre est né lors d’une série de conférences, au Québec, en 2018 : « Félix et moi étions présents dans quelques villes du Québec, à l’époque, pour analyser les données de sondages réalisés dans le cadre du projet [nommé] La Confédération de demain 2.0. » Il s’agissait alors d’une étude menée par l’institut Environics, ayant pour but de sonder l’avis des citoyen.ne.s quant à la gestion des enjeux nationaux par les différents ordres de gouvernement, explique-t-elle. 

La chercheure poursuit en précisant que leur travail consistait à apporter un regard québécois sur les résultats, mais qu’à force d’enchaîner les conférences, l’idée est apparue d’exploiter davantage les données. « On s’est d’abord dit qu’on allait les mobiliser pour des articles scientifiques, mais finalement, nous avions tellement de choses à dire, que nous avons décidé d’écrire un livre », s’amuse-t-elle.

Un livre dont l’objectif est d’être à la fois pertinent pour la communauté scientifique, mais aussi accessible au grand public, affirme Félix Mathieu, professeur adjoint au Département de sciences politiques de l’Université de Winnipeg. « [Le but est de permettre] aux citoyen.ne.s engagé.e.s, comme aux décideur.se.s publics […] de saisir les problématiques entourant le fédéralisme canadien […], tout en proposant des avenues pour gérer de façon plus constructive ce phénomène de division qui existe au Canada », précise-t-il.

Une insatisfaction générale

Brie poursuit en expliquant qu’une tendance s’est dégagée assez rapidement durant l’analyse des résultats, découvrant ainsi un problème général vis-à-vis du système politique en place. Elle remarque que « les données ne démontraient, toutefois, pas de consensus sur les causes et les dynamiques de ces problèmes », révélant ainsi une problématique intéressante.

« Nous avons donc commencé par dresser un portrait de ce problème structurel en adoptant trois angles d’analyses : l’identité, le fédéralisme et le régionalisme », poursuit-elle, soulignant que le but était d’analyser le problème de division à travers différentes unités d’observations. Elle constate notamment que « les divisions de différents niveaux se renforçaient entre elles ».

Mathieu explique quant à lui que même si la période post-référendaire a instauré une certaine hibernation des débats à propos des divisions au Canada, les données contemporaines et celles récoltées dans les années 1990 et 2000 démontrent que celles-ci sont toujours bien présentes au pays, étant demeurées stables ou s’étant même consolidées.

Un attachement identitaire variable selon les provinces

L’identification des Canadien.ne.s au fédéral et au provincial varie très largement selon les provinces. « Si on regarde la question de manière générale au Canada, on constate qu’une pluralité de répondant.e.s se définissent aussi bien par leur identité provinciale que par leur identité canadienne », concède Brie. Elle souligne cependant une grande variance dans les résultats d’analyse, qui témoigne, selon elle, de l’impossibilité de considérer comme un bloc monolithique la manière dont les Canadien.ne.s se définissent.

Ainsi, les données varient de province en province, poursuit-elle. «Parmi les régions à dominante pancanadienne, nous retrouvons l’Ontario suivi des territoires du Nord; […] l’immigration et la présence de la capitale nationale étant des théories explicatives plausibles [pour expliquer l’attachement national de la province ontarienne] », précise-t-elle.

« À l’inverse, nous retrouvons les provinces de l’Alberta, du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador qui ont une identité composée d’une dominance pancanadienne relativement limitée », affirme-t-elle. « Au Québec, plus de 50% des citoyen.ne.s s’identifient davantage comme Québécois.e que Canadien.ne […]; [une tendance que l’on retrouve également] à Terre-Neuve-et-Labrador; province qui a la particularité d’être la dernière intégrée au système fédéral canadien », constate-t-elle enfin.

Une division provinciale et régionale

Mathieu continue l’explication en mettant en lumière ces divisions d’un point de vue régional : « On remarque [d’après les données] que les provinces à l’ouest de l’Ontario sont davantage insatisfaites que celles se situant à l’est concernant le fonctionnement du gouvernement fédéral ». Un phénomène qui s’explique, selon les chercheur.e.s, d’une part, par la croyance de certaines provinces dans le fait qu’elles ne sont pas traitées avec le respect qu’elles méritent, et d’autre part, par leur conviction de ne pas avoir assez d’influence au sein du système fédéral.

Brie relève quant à elle une certaine tendance des régions à se sentir désavantagées au cœur du système. Ainsi, selon les données, celles de l’ouest se sentiraient de plus en plus lésées au fil du temps, alors que le Québec et l’Ontario seraient perçus comme étant favorisés. Elle nuance tout de même en relevant que, depuis 2005, les régions de l’Ouest sont de plus en plus considérées comme étant privilégiées.

Quelles solutions ?

Face à ces constatations, les deux auteur.e.s proposent finalement quatre pistes pour sortir de ce contexte de divisions. La première consisterait à adopter le statu quo, une solution politiquement simple, mais stratégiquement mauvaise, d’après Brie.

La deuxième serait la division du pays, «[une voie] qui représenterait l’opportunité de voir émerger de nouveaux projets démocratiques en Amérique du Nord », déduit-elle, concédant qu’il semble tout de même peu probable de la voir se réaliser dans un avenir proche.

Mathieu poursuit avec le troisième modèle ; celui-ci visant à promouvoir l’unité canadienne, rejoignant les idéaux de John A. Macdonald et, à certains égards, ceux de Pierre-Elliott Trudeau. Il précise qu’il s’agirait de mettre de l’avant l’image d’un Canada homogène. Une solution toutefois peu recommandable, selon lui, puisqu’elle accentuerait les raisons du mécontentement régnant au pays.

Enfin, la dernière solution proposée serait celle d’un fédéralisme asymétrique. Il s’agirait d’un système permettant au gouvernement fédéral d’adapter sa politique selon les régions, protégeant ainsi les foyers identitaires peuplant le Canada. Une solution qui serait, d’après les deux chercheur.e.s, celle à privilégier pour restaurer une certaine confiance dans les institutions et réconcilier les Canadien.ne.s entre eux.elles.

Le livre Un pays divisé est à retrouver sur le site web des Presses de l’Université Laval, dans la catégorie des ouvrages de sciences politiques.

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