Renommer les équipes sportives : entre appropriation et représentation
Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique
Chronique rédigée par Dawson Couture – Chef du pupitre Sports et bien-être
Les Indians de Cleveland, les Redmens de McGill, les Eskimos d’Edmonton, les Redskins de Washington et la liste s’ensuit. Ce ne sont que quelques noms que vous ne serez plus dans les médias, ceux-ci ayant été jugés offensants à l’égard des peuples autochtones. Si le procès contre les noms et les logos se poursuit au cas par cas, il faudrait néanmoins se questionner sur l’efficacité de cette approche dans le but d’atteindre une véritable réconciliation.
Au cours des dernières années, des dizaines d’équipes de sports de tous les niveaux ont changé leur nom, et même leur logo, en raison d’accusations d’appropriation culturelle ou de références offensantes aux Premières Nations. Il s’agit d’un sujet favori pour les chroniqueur.se.s et les commentateur.ice.s sportif.ve.s aujourd’hui. Il me semble, toutefois, que le micro devrait plutôt être tourné vers les personnes autochtones pour leur permettre de trancher sur cette question.
Des nuances à l’appropriation culturelle ?
Thomas Jirousek était la figure de proue du mouvement pour renommer les Redmens de l’Université McGill en 2019. Alors qu’à l’origine, le nom ne faisait pas référence aux autochtones, l’établissement a utilisé depuis les années 1940 de l’imagerie autochtone dans sa marque. Les personnes autochtones n’étaient pas représentées sur le campus durant ce temps puisqu’ils.elles perdaient automatiquement leur statut d’« Indien » en recevant un diplôme universitaire. En plus de ne pas rendre hommage aux premiers peuples, Jirousek explique que le terme a pendant longtemps été utilisé péjorativement dans le but de les marginaliser.
Les Redskins, les Indiens et les Eskimos sont mis dans le même bateau par certain.e.s ; ces mots ont été employés comme des insultes et décrivent mal les communautés qu’ils désignent. Même dans les équipes avec des noms moins « problématiques » comme les Chiefs de Kansas City, les spectateur.ice.s se sont souvent efforcé.e.s de peindre leur visage, porter des coiffes de plume et imiter les chants autochtones, tout en mimant des coups de tomahawk avec leurs bras. Ce n’est donc pas surprenant que ces équipes aient eu à changer leur nom et souvent leur culture.
Dans cette vague de décolonisation des noms d’équipes, les Blackhawks de Chicago n’ont pas été touchés. L’organisation a expliqué que le nom et le logo rendaient hommage au leader autochtone Black Hawk, une figure d’inspiration pour les personnes autochtones encore aujourd’hui. Pour Constant Awashish, grand chef du Conseil de la Nation atikamekw, les créateur.ice.s du logo ont démontré un manque de compréhension des cultures autochtones, notamment en raison de la présence de plumes multicolores sur celui-ci. Il confirme cependant que leurs maillots sont populaires dans les communautés autochtones, entre autres parce que l’iconographie présente un modèle fort et emblématique.
Comment changer sa marque ?
Ces exemples indiquent clairement que la « cancel culture » à l’égard des équipes sportives n’est pas aveugle ; les personnes autochtones cherchent avant tout à être respecté.e.s et consulté.e.s lorsque leur culture est empruntée pour les fins d’une marque sportive. Sans ces démarches, les équipes risquent de perpétuer les relations coloniales en tirant profit d’une culture qui ne leur appartient pas.
Malgré cela, la majorité des équipes qui ont changé leur identité au cours des dernières années ont entrepris peu ou aucune consultation avec les communautés autochtones. Elles se sont contentées de choisir un nom ou un logo original pour mieux représenter leur ville et ses valeurs. À mes yeux et ceux de certain.e.s intervenant.e.s autochtones, cela démontre une incompréhension fondamentale du problème.
Jirousek souligne que les marques sportives basées sur des représentations autochtones peuvent être « un bon forum, une bonne visibilité, une bonne manière de mieux faire connaître notre culture et enrayer certains préjugés ». Les Thunderbirds de l’Université de Colombie-Britannique sont un exemple à suivre. Le nom, issu de légendes autochtones, a eu l’approbation d’intervenant.e.s autochtones, y compris le chef de la nation locale, et a fait l’objet d’une cérémonie traditionnelle.
Lorsque l’équipe de Cleveland s’est rebaptisée « les Gardians » ou que les Braves de Washington ont supprimé le tomahawk de leur logo, ces derniers ont éliminé des représentations autochtones au lieu de les réhabiliter. L’équipe de baseball de Washington aurait pu s’inspirer d’art autochtone, comme on le voit sur le dossard des Canucks de Vancouver. Et pourquoi ne pas juste utiliser un nom moins offensant ?
Dépasser le changement de nom
L’importance des noms d’équipes sportives ne fait pas l’unanimité dans les communautés autochtones. Et à juste titre ! « Comment voulez-vous qu’une communauté parle de développement et de toutes sortes d’autres enjeux quand elle n’a même pas d’eau potable ? », remarque Jirousek, qui compatit avec d’autres Autochtones.
Florent Vollant, auteur, compositeur et interprète d’origine innue, partage cet avis. En tant que survivant du système de pensionnat, le changement du nom d’équipe « est le dernier de [s]es soucis ». Pour lui, il y a des causes bien plus importantes, pour lesquelles il est nécessaire de se battre. Rappelons-nous que renommer des équipes sportives ne fait pas partie des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
Les discussions au sujet des noms et des logos augmentent, néanmoins, la visibilité et la sensibilisation des enjeux auxquels font face les Premières Nations, dont le racisme systémique. Si vous avez suivi les réactions sur les médias sociaux quant aux changements de certains noms, vous êtes sans doute sceptique sur le fait que ces changements suscitent de vrais dialogues. Je dirais qu’au minimum, les controverses autour des noms d’équipes ont permis de rejoindre un auditoire qui ne s’intéresse habituellement pas à la situation dans les communautés autochtones.
Dans un but de réconciliation, renommer des équipes est clairement insuffisant. Les équipes qui se réinventent ont une occasion en or de promouvoir et soutenir les communautés autochtones. Le reste de la société, quant à elle, doit arrêter de se contenter de changements symboliques et être prête à modifier ses habitudes pour qu’elles s’alignent avec ses valeurs.