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Sports et bien-être

À l’Université d’Ottawa, un sport universitaire à trois vitesses, mais pourquoi et à quel prix ?

Credit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Enquête menée par Jessica Malutama — Cheffe de la section Sports et bien-être

À l’Université d’Ottawa (U d’O), le sport interuniversitaire repose sur trois niveaux, un modèle qui, s’il soutient de nombreuses équipes, creuse d’importantes disparités financières et matérielles entre celles-ci. Comment ces écarts influencent-ils l’expérience des étudiant.e.s-athlètes ? Quels principes guident les choix institutionnels ? La Rotonde a enquêté sur les rouages du sport universitaire chez les Gee-Gees. 

Le programme des Activités récréatives et sports interuniversitaires (ARSU) se divise en deux volets : le secteur récréatif, qui propose des activités physiques à plus de 50 000 membres de la communauté universitaire et externe, et le sport interuniversitaire, qui regroupe 34 équipes et près de 1000 étudiant.e.s-athlètes évoluant à l’échelle provinciale, nationale et internationale. C’est ce qu’explique Darren Cates, directeur principal des ARSU depuis août 2024.

Derrière cette diversité, la répartition des ressources entre les équipes des Gee-Gees soulève des questions. Le sport interuniversitaire est en effet divisé en trois catégories : Varsity, Grenat et Gris, détaille Danika Smith, directrice adjointe du sport interuniversitaire depuis mai 2024.

Différents paliers, différentes ressources

Les équipes Varsity bénéficient des ressources les plus importantes, indique Smith. Cette catégorie « vise à offrir un programme d’entraînement structuré tout au long de l’année, avec des ressources adaptées pour préparer les étudiant.e.s-athlètes aux exigences de la compétition nationale », ajoute-t-elle.

Ce statut concerne le basket-ball, football américain, hockey, soccer féminin, natation, rugby féminin et volley-ball féminin. Ces équipes profitent d’un appui financier important, d’un accès prioritaire et gratuit aux installations sportives de haute performance (HPC), d’un suivi médical et psychologique, et d’une visibilité accrue sur les réseaux sociaux institutionnels. 

« On ne paie rien, sauf pour la nourriture parfois. […] À chaque pratique, un.e physio[thérapeute] est présent.e sur les lignes de touche, et depuis cette année, un.e psychologue du sport l’est aussi », témoignent Eliane Gervais et Maya Dussault, joueuses de soccer féminin. Chaque équipe bénéficie d’un budget élaboré individuellement, selon son calendrier compétitif et ses besoins spécifiques, précise Smith.

Le niveau Grenat regroupe quant à lui l’athlétisme et le cross-country, l’aviron, le ski nordique, le rugby masculin et le golf masculin. Ces formations reçoivent un soutien réduit, mais évoluent dans un cadre leur permettant de viser des championnats provinciaux, émet Smith. 

Cependant, les frais d’adhésion, avoisinant 1 000 $ par saison, restent élevés pour participer aux compétitions, explique un.e membre de l’athlétisme et de cross-country. Les subventions accordées aux équipes Grenat varient selon la taille de leurs effectifs et les standards des Sports universitaires de l’Ontario (SUO) ou du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ), rapporte la responsable des ARSU.

Finalement, le niveau Gris comprend notamment des clubs comme le badminton, le softball, le volley-ball masculin, l’équitation ou l’ultimate frisbee. « L’objectif principal est d’offrir une expérience positive de compétition, sans obligation de viser le niveau national », avance Smith.

Les équipes Gris reçoivent entre 2500$ et 3000$ selon leur accès aux infrastructures liées à leur discipline sur le campus. Mais ces montants restent insuffisants selon leurs membres : « Nous organisons des collectes de fonds, mais c’est loin d’être suffisant, et cela prend beaucoup de temps. En moyenne, chaque athlète débourse 1000$ pour couvrir la saison », témoigne une membre de l’équipe féminine d’ultimate frisbee

Un sentiment d’iniquité grandissant

Ce modèle à trois niveaux repose sur un choix stratégique, lié à des contraintes budgétaires et à une philosophie institutionnelle, affirme Smith, qui ajoute : « Si nous financions toutes les équipes de la même manière, nous ne pourrions pas en soutenir autant. » Smith et Cates précisent que l’U d’O vise à être compétitive au niveau national, ce qui impose de concentrer les ressources sur un nombre restreint d’équipes Varsity

L’écart ne se limite pas aux budgets : les équipes Varsity disposent d’entraîneur.se.s à temps plein, tandis que les équipes Grenat et Gris doivent s’appuyer sur des bénévoles ou des étudiant.e.s gestionnaires. « Ceci reflète la réalité du sport au Canada, où le bénévolat joue un rôle majeur », fait part la responsable des ARSU.

Cependant, cette situation pèse sur certain.e.s étudiant.e.s-athlètes. « Il est frustrant de devoir gérer de grosses sommes d’argent en tant que membre de l’exécutif étudiant et d’être le messager entre l’école et les entraîneur.se.s. C’est une charge inhabituelle qui tombe mal pendant un semestre chargé », confie un.e membre de l’équipe d’aviron.

Dans un sondage mené par La Rotonde, 80 % des répondant.e.s provenant des équipes Grenat et Gris se disent insatisfait.e.s du financement accordé, et 20 % très insatisfait.e.s. 

L’enquête met aussi en lumière qu’à l’exception du soccer féminin, la majorité des équipes interrogées estiment que leurs ambitions compétitives ne sont pas alignées avec le soutien financier des ARSU. « Le club ne dispose d’aucun espace de croissance ou de développement en raison des restrictions financières et du faible soutien de l’université », déplore par exemple un.e membre de l’ultimate frisbee féminin. 

Un modèle critiqué

Les équipes Grenat et Gris répondantes réclament une répartition plus équitable des ressources pour alléger les frais d’uniformes et de compétitions, qui représentent un frein pour certain.e.s athlètes.

Bien que les athlètes aient accès à des soins au Centre de santé et mieux-être étudiant ou à la Clinique sportive du complexe sportif Minto, ils.elles demandent un accès gratuit au HPC, à la physiothérapie, ou encore à la psychologie sportive, à l’instar des équipes Varsity. « Cliniques de nutrition, thérapeutes sportif.ves… tout cela améliorerait notre expérience. Beaucoup d’athlètes sont sous-alimenté.e.s et se blessent », expose un.e étudiant.e-athlète.

Certain.e.s, comme l’équipe de ski nordique, saluent des améliorations, mais appellent à une meilleure communication avec les ARSU et une plus grande visibilité sur les réseaux sociaux officiels des Gee-Gees. Un.e membre d’une équipe Grenat estime qu’un rééquilibrage des subventions est nécessaire, quitte à revoir les budgets des équipes Varsity.

« L’écart [entre les budgets des équipes Varsity par rapport aux autres] est énorme. Si nous devions financer de notre poche un voyage pour les Championnats SUO pour représenter l’école pour 23 athlètes, cela nous coûterait environ 25 000$. Je ne peux qu’imaginer le budget de l’équipe de football américain », confie l’athlète.

Un problème systémique difficile à résoudre

Plusieurs contraintes structurelles limitent la capacité des ARSU à assurer un soutien équitable. Les ressources disponibles, déjà fragilisées par la pandémie à l’échelle du sport universitaire ontarien, sont conditionnées par le modèle économique du programme, en grande partie autofinancé.

«  Nous générons nos propres revenus. […] Chaque jour, nous évaluons l’impact de nos décisions sur nos étudiant.e.s et pesons le gain financier face aux conséquences possibles », indique Cates.

Le manque d’infrastructures accentue ces défis, freinant l’expansion du programme et sa capacité à générer plus de revenus, font remarquer les deux responsables. De plus, Smith fait mention de l’importance de réserver un nombre suffisant de créneaux horaires pour les activités récréatives et les ligues intra-muros.

Pour Cates, cet équilibre entre les deux secteurs des ARSU est un défi constant. « Notre priorité est d’offrir des services au campus [le secteur récréatif], où nous générons le plus de revenus pour assurer notre viabilité financière. » Il souligne que l’emplacement du campus en plein centre-ville limite toute expansion des installations sportives, un enjeu dont il mesure pleinement l’impact pour les étudiant.e.s-athlètes.

« Je compatis avec ces équipes et je comprends leurs frustrations, et c’est pourquoi nous avons besoin de plus d’installations. [Apprendre leur déception] est difficile à digérer et me touche profondément. Mais avec un dôme, deux terrains synthétiques, deux salles de musculation, trois gymnases, une piscine, deux arénas, et une population de plus de 51 000 personnes, comment voulez-vous pouvoir satisfaire les besoins de tout le monde ? », questionne-t-il.

Des initiatives en cours, mais des défis persistants

Face à ces tensions, des efforts sont en cours, bien que les marges de manœuvre restent limitées. Une refonte du site web officiel des Gee-Gees vise à clarifier les services accessibles à chaque catégorie d’équipe.

En janvier, un Conseiller principal en culture et sport sécuritaire a été nommé pour évaluer l’environnement sportif des Gee-Gees, et une clinique éducative sur la nutrition a été tenue pour sensibiliser les étudiant.e.s-athlètes aux bonnes pratiques alimentaires abordables.

Malgré ces efforts, les défis restent nombreux. Il s’agit d’un problème systémique complexe, loin d’être propre à l’U d’O et qui ne pourra pas être résolu à court terme, estime le Conseil des Étudiants-Athlètes (CÉA). 

Eric Dissanayake, co-président du CÉA et athlète de volley-ball masculin, reconnaît que la gestion des sports universitaires est un défi autant pour les équipes Grenat et Gris que pour l’administration. Comparant son expérience à celle de clubs universitaires américains, il relève des différences en matière de soutien. « Certains d’entre eux ne reçoivent pratiquement aucune aide de leur établissement et doivent tout organiser avec leurs propres moyens. Réaliser cela m’a permis d’apprécier les efforts des ARSU pour les étudiant.e.s-athlètes », exprime-t-il.

Cependant, le modèle actuel des ARSU, avec des contraintes budgétaires et un manque d’infrastructures, ne permet pas d’apporter des changements immédiats. Des ajustements seront nécessaires dans les prochaines années pour rendre le programme plus inclusif, sans compromettre sa viabilité financière. 

« Nous ne voulons pas rester figé.e.s dans un modèle qui ne fonctionne pas. Dans cinq ans, nous regarderons certaines de nos décisions actuelles et nous nous dirons peut-être : ‘’On aurait dû faire ça différemment.‘’ Mais c’est un processus d’évolution constante. Si des athlètes souhaitent discuter plus en détail de ces enjeux, je suis toujours ouverte à la conversation. Ces questions sont au cœur de nos préoccupations », conclut Smith.

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