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Wynne Neilly headshot
Arts et culture

Se détacher du devoir de représentation : entrevue avec le photographe Wynne Neilly

Emmanuelle Gauvreau
1 octobre 2023

Crédit visuel : avec l’autorisation de l’artiste [Wynne Neilly]

Entrevue rédigée par Emmanuelle Gauvreau — Cheffe du pupitre Arts et culture

Wynne Neilly est l’un des récipiendaires du Prix nouvelle génération Scotiabank 2023 (PNGS). Originaire d’Ottawa, celui qui était derrière la caméra de la séance photo d’Elliot Page pour Times raconte son processus créatif… et face à l’opinion publique.

LR : Quelle est ta relation à la photographie ?

WN : C’est une question avec laquelle j’évolue constamment, surtout ces temps-ci. Je crois que je vois la photographie comme un processus d’exploration de moi-même à travers le portrait des autres. Je m’intéresse aussi à y développer un sens de communauté. Même s’il s’agit de mon point focal, j’expérimente aussi avec d’autres styles de photographie.

LR : Pourrais-tu nous parler un peu plus de tes œuvres présentement exposées au Musée des Beaux-Arts du Canada (MBAC) ? Tu es connu pour tes portraits, mais tu fais aussi des photos de lieux. 

WN : En discutant avec la curatrice du MBAC, Andrea Kunard, je me suis rendu compte que je voulais pousser mon exploration de cette combinaison [du portrait et des photos de lieux] pour qu’elles entament une discussion entre elles […].

Je le perçois comme une réaffirmation de mon intérêt pour les photos de lieux. Mon œil est attiré par des espaces qui évoquent la transition ou qui sont à risque d’être négligés. J’ai beaucoup réfléchi à comment ça se rattachait à mes portraits, et à l’attention que j’accorde aux états de mutabilité et de marginalité. […] J’aime ce que cette approche évoque en moi. Elle me permet d’évoluer en tant qu’artiste.

LR : Tu as exprimé en entrevue que : « L’université a été une période marquante dans ta vie ». Explique.

WN : J’ai étudié à l’Université métropolitaine de Toronto. À mon entrée au programme [de photographie], je n’avais pas vraiment de sens de mon identité, en tant que jeune adulte et en tant qu’artiste […]. Ma relation à celle-ci était maladroite, jusqu’à ce qu’on explore des projets entourant le portrait, qui coïncidaient avec une période où je découvrais mon orientation sexuelle, mon identité de genre et ma communauté. J’ai commencé à prendre en photo des gens aux expériences similaires et dont j’étais curieux des vécus. J’ai eu un déclic en me rendant compte que la relation au sujet me permettait une exploration personnelle.

LR : As-tu senti qu’il y avait suffisamment d’outils pour aborder et traiter le corps trans pendant ton parcours académique en arts ?

WN : Non… *rire* ! Je sentais que mon travail et mon exploration étaient soutenus par mes collègues et professeur.e.s, mais je me sentais très seul dans ce processus.

En général, je suis appuyé par le « Capital A Art » et les organismes artistiques institutionnalisés, mais ça a pris beaucoup de temps avant qu’on me respecte en tant que bon photographe et d’être dissocié de l’étiquette « photographe trans qui prend des photos de personnes trans ». J’essaye de me faire respecter en tant qu’artiste à part entière, si cela a du sens ?

LR : Dans ton travail, on peut ressentir ce sentiment de fierté et de désir de déconstruction. Mais, sur le plan personnel, t’arrive-t-il de te sentir dépassé par le fait d’avoir une identité que le public tente constamment de politiser ? Comment arrives-tu à trouver l’espace pour « être », tout simplement ?

WN : Pendant longtemps, je me suis senti responsable de faire des portraits pour le bien de la représentation. […] J’avais l’impression que c’était tout ce qu’on voyait. On ne me considérait pas comme un photographe compétent au niveau technique, mais comme une identité produisant un travail.

Je pense que mon travail a vraiment mûri. Je m’aperçois qu’en tant que photographe trans et queer, mais aussi en tant que personne blanche, je ne peux pas représenter tous les membres de ma communauté. Cela m’a forcé à me concentrer sur ma relation à ma propre identité et la façon dont ça se transpose par la photographie.

Je crois que d’associer mon portrait à d’autres styles de photographie [comme dans l’exposition au MBAC] est une façon de m’opposer à ce cadre étroit dans lequel je me trouve.

 

Musée beaux-arts expo

LR : Comment te prépares-tu pour tes séances de photographie ? As-tu une « recette » propre à toi ?

WN : Cette « recette » m’intéresse beaucoup. Je crois qu’un portrait réussi ne se résume pas à l’éclairage ! C’est la relation construite au cours d’une séance et la relation établie avec le sujet qui fait toute la différence. Elles permettent la vulnérabilité et l’intimité, ce que je recherche vraiment dans mon travail […]. Il y a une dynamique de pouvoir entre le photographe et le sujet. J’essaye toujours de trouver des moyens éthiques dans mon approche afin de créer un espace collaboratif dans les séances.

LR : Tu as pris les portraits de Mae Martin, Leo Baker et même Elliot Page pour le Time Magazine. En fait, Elliot a demandé de travailler avec toi. Qu’est-ce que ces expériences t’ont apporté ?

WN : Cela va peut-être sonner « cheesy » , mais ce sont des personnes avant tout. […] Ce n’est pas parce qu’une personne est très présente dans l’œil public qu’elle est nécessairement à l’aise devant la caméra. C’est une expérience vulnérable.

Elliot Page Times Twitter

Cela m’a d’autant plus démontré l’importance de la dimension relationnelle dans mon travail ; tout le monde a besoin d’être traité avec le même niveau de respect, la même attention et le même soin lors de séances de photo.

LR : Tu as dit en entrevue sur CBC que : « La façon dont nous représentons les personnes trans est souvent un acte de violence ». Comment tes portraits déconstruisent-ils cela ?

Je souhaite que les gens se sentent vus dans mon travail. Peu importe le sujet du portrait, il s’agit d’être capable de voir et de sentir que l’intimité et l’ouverture conduisent en fin de compte à un sentiment de connexion et d’humanité. […]

Beaucoup de gens me disent : « Je ne connais personne de trans/queer, donc je ne comprends pas l’expérience. » C’est ce que l’art peut faire !

LR : As-tu des conseils à donner aux étudiant.e.s qui souhaitent faire carrière en photographie ?

Vos camarades d’école seront des personnes avec lesquelles vous travaillerez un jour. Commencez à construire de bonnes relations avec eux.elles. […] C’est aussi très important d’éviter de se comparer aux autres […], de ne pas se laisser distraire et garder un sens de ses propres motivations.

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