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Éditorial

Se lever et sortir notre langue de nos poches

Rédaction
3 décembre 2018

Éditorial

Par Mathieu Tovar-Poitras – Rédacteur en chef

5 000 manifestant.e.s devant le Monument canadien des droits de la personne à Ottawa. Une quarantaine de points de rassemblement partout en Ontario, plus de 14 000 participant.e.s aux rendez-vous. Le plus grand rassemblement de l’Ontario français envoie un message retentissant ; nous sommes, nous serons.

Ces chiffres de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) mènent à un constat clair, la communauté franco-ontarienne ne se laissera pas manger la laine sur le dos. Le mal du jeudi noir ne peut être guéri et ce ne sont surtout pas de timides concessions qui seront suffisantes pour atténuer la colère verte et blanche. Une prise de conscience doit prendre place au sein des rangs progressistes-conservateurs.

Le bilan probable de cet examen introspectif ? Une ignorance flagrante du contexte linguistique en Ontario – et même au Canada – gangrène le caucus de Doug Ford.

On coupe et on compresse à gauche et à droite, puis on fait partiellement volte-face lorsque la grogne monte au sein du public. Si le gouvernement décide d’improviser, qu’il l’assume pleinement et qu’il aille donc participer à des joutes de la LIEU pour voir comment des experts font ça. Ford pourrait en apprendre beaucoup. Bien entendu c’est dit avec un petit clin d’œil, mais le Premier ministre et son entourage ont bel et bien des leçons à apprendre de la jeunesse franco-ontarienne.

Que ce soit pour avoir sous-estimé la fierté de la communauté francophone ou négligé l’importance de la dualité linguistique canadienne, la non-connaissance qui contamine les progressistes-conservateurs concernant le fait français dans leur province est une erreur à la fois lourde et grotesque. Comme l’a écrit Albert Camus, « la démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité ». Le gouvernement ontarien est redevable envers sa minorité de langue officielle et par conséquent, il se doit de connaître les nuances propres à cette communauté.

En ayant décidé d’effectuer des compressions dans les services francophones sans consultation sérieuse auprès de la communauté touchée, la rupture était évidente et prévisible. L’avarice et l’égocentrisme des têtes pensantes du gouvernement à Queen’s Park ont fait fi de ce principe si essentiel à notre démocratie. Les Franco-ontariens sont retournés aux barricades pour réclamer le respect de leurs droits ainsi que pour rappeler à tout le monde la cohésion qui définit cette communauté.

Un 3% qui prend sa place

« Même s’ils ne sont que 3% de la population en Ontario, ils jouent un rôle majeur », avait lancé Doug Ford en Chambre le 29 novembre dernier. Tout d’abord, le taux réel se situe entre 4 et 5%. D’autre part, nonobstant sa taille démographique, une minorité de langue officielle au Canada se voit protéger entre autres par des remparts constitutionnels. Le respect qu’a le gouvernement Ford envers la communauté franco-ontarienne est incarné dans l’expérience de la députée Amanda Simard.

Cette dernière, seule Franco-ontarienne au sein du caucus progressiste-conservateur, avait affiché publiquement son désaccord vis-à-vis des décisions de son parti. Résultat ? Lors du débat sur le sujet, Simard s’était vue refuser un droit de parole. Jeudi dernier, elle quittait son parti afin de siéger comme indépendante. Le gouvernement a ensuite tenté d’insinuer qu’elle aurait plutôt été mise à la porte.

Si ce dernier scénario est véridique, il s’agit d’une erreur de relations publiques étant donné qu’il en dit beaucoup sur les personnes aux rênes du pouvoir. On se serait débarrassé d’une députée parce que dans une réalité politique où priment la ligne de parti et les intérêts particuliers, elle aurait osé parler et agir au nom de sa communauté. Le geste a semblé préoccuper davantage le Premier ministre que la colère et la mobilisation franco-ontarienne.

La résistance ne fait que commencer

La communauté s’est unie autour de Simard, une figure à laquelle on peut s’identifier. C’est un autre aspect que les progressistes-conservateurs semblaient ignorer, l’unité et la cohésion entre les Franco-ontariens est une partie intégrante de l’identité de cette communauté. Le 1er décembre était une journée pour le rappeler haut et fort. La pluralité des acteurs au sein des manifestations démontre l’unicité du mouvement.

À cela s’ajoute le vent de solidarité au niveau pancanadien afin de soutenir la résistance franco-ontarienne. L’enjeu du fait français et des obstacles quotidiens auxquels font face les francophones ne touche pas que l’Ontario. Toutefois, la mobilisation en Ontario a permis de mettre la cause en avant-plan à l’échelle nationale. Que ce soit au Québec, au Manitoba ou au Yukon, la francophonie canadienne s’est unie et a manifesté en soutien de la cause.

Pourtant la résistance ne se contentera pas que du 1er décembre. L’AFO a par ailleurs confirmé que d’autres initiatives seront mises en place afin de continuer dans la foulée des derniers jours. Il ne faut pas non plus négliger les outils au niveau politique ni perdre de vue les possibilités au niveau judiciaire. L’inertie et le mutisme des progressistes-conservateurs doivent être cassés.

« Les Ontariens ont le droit de manifester pacifiquement », a déclaré le Premier ministre par l’entremise d’un communiqué en réaction à la mobilisation de samedi dernier. Merci pour le rappel M. Ford, mais tout comme vos tentatives d’apaisement de la gronde populaire, c’est trop peu trop tard. Pour sa part, la ministre Mulroney a pris la peine de faire un tweet sur des mobilisations civiles du 1er décembre, les défilés de Noël de Mount Albert et de Sutton.

Cette attitude hautaine du gouvernement est la peste inhérente de Ford et son entourage. Tôt ou tard, les pressions de la communauté forceront la main au gouvernement à réagir concrètement et avec sérieux. Les voix francophones sont nombreuses, mais le discours est le même, celui de la résistance.

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