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Arts et culture

Spotify fait face au déluge 

Marie-Ève Duguay
6 mars 2022

Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe

Article rédigé par Marie-Ève Duguay – Cheffe du pupitre Arts et culture

Suite à des controverses récentes, la plateforme de diffusion Spotify est sous le feu des critiques. Discours dangereux, mauvaise rémunération des artistes, manque de transparence… Ces problèmes soulèvent la question : serait-il temps d’abandonner les services de musique en continu?

D’après un article de La Presse, l’Américain Joe Rogan, lors d’un épisode de son balado exclusif à Spotify « The Joe Rogan Experience », aurait découragé la vaccination contre la COVID-19 chez ses jeunes auditeur.ice.s. Il aurait également eu recours à des propos racistes.

La controverse Rogan a déterré plusieurs ennuis pour Spotify puisque plusieurs artistes ont retiré leur musique de la plateforme. L’auteur-compositeur canadien Neil Young, la chanteuse folk Joni Mitchell et Gilles Vigneault, entre autres, ont voulu se dissocier de Spotify. Ces problèmes ne se limitent pourtant pas aux propos racistes et à la désinformation qui ont été propagés et ont de grandes répercussions sur les artistes comme le rapporte Urhiel Madran-Cyr, l’artiste à la tête d’Aramis, une « entité collaborative » au son électro-pop.

Plus de mal que de bien ?  

Jada Watson est professeure auxiliaire à l’École de musique, à l’École des sciences de l’information et à l’École des sciences numériques de l’Université d’Ottawa (U d’O). Elle se spécialise, entre autres, dans les relations entre la radio et les systèmes de distribution dans l’industrie de la musique et a un intérêt particulier pour les listes de lectures éditoriales. Elle note trois complications majeures en lien avec les plateformes de diffusion en continu.

La première : l’algorithme. La professeure de l’U d’O explique que les services de diffusion en continu devraient, en principe, créer des opportunités égales pour tous et toutes les artistes. Cependant, Watson fait savoir que le modèle de base entraîne un service inéquitable. « L’algorithme du système de recommandation est influencé par les tendances plus larges au sein de l’industrie. Le public se tourne vers Spotify et Apple Music pour retrouver la musique entendue à la radio et dans des films, par exemple, et ce sont ces actions qui forment l’algorithme », indique-t-elle. « Malheureusement, dans de nombreuses sphères de l’industrie, les préjugés sexistes et raciaux sont souvent présents, et l’algorithme les reproduit. » Ainsi, il y a un grand déséquilibre dans les algorithmes et, selon Watson, il faudrait « réentraîner la machine » pour y remédier.

Les listes éditoriales représentent également un lourd défi pour Spotify. Watson dévoile que celles-ci, qui sont créées par le personnel de la plateforme dans l’objectif de faire la promotion des artistes, ne sont pas tout à fait inclusives. De fait, il est surtout difficile pour les artistes indépendant.e.s de s’y retrouver, puisqu’il « est souvent nécessaire d’atteindre un niveau d’attention et d’intérêt de la part des auditeur.ice.s afin d’être reconnu.e dans ce milieu hautement saturé », justifie la professeure.

C’est d’ailleurs le cas de Madran-Cyr qui témoigne vivre beaucoup de frustrations envers la plateforme depuis qu’il a lancé, le 4 février dernier, un album intitulé Pour semer la confusion. S’il a vécu de bonnes sorties pour ses singles précédents, le lancement du nouvel album s’est avéré un peu plus difficile : « L’album n’a figuré sur aucune liste, et j’ai perdu beaucoup d’opportunités », constate-t-il.  Madran-Cyr partage que ces listes de lectures sont la seule façon d’obtenir de la visibilité sur la plateforme, et qu’il est largement déçu. Il croit d’ailleurs que « l’algorithme de Spotify est créé pour faire réécouter le même contenu ».

Rémunération désavantageuse

La rémunération est le troisième problème qui afflige les artistes qui utilisent les plateformes de diffusion en continu. La professeure à l’U d’O cite un article d’Anthony Manker, qui explore le système de rémunération des services de diffusion en continu et surtout de Spotify. Contrairement à ce qui est souvent mis de l’avant dans les médias, les plateformes ne rémunèrent pas les artistes selon le montant de fois que leur contenu est joué. Watson révèle que le calcul des paies est « basé sur le pourcentage des revenus totaux de Spotify » et que 64 % des revenus sont versés aux titulaires des droits, et ensuite aux artistes.

Ainsi, les artistes ne touchent qu’à environ 0,0034 $ par écoute, et ce chiffre fluctue en fonction des revenus de Spotify. Un.e artiste indépendant.e avec environ un à deux millions d’écoutes pourrait donc générer plusieurs milliards de dollars par mois. Mais, poursuit Watson, cela ne se fait pas du jour au lendemain, et il est certainement plus difficile pour les artistes émergent.e.s de toucher une telle somme. Les auteur.e.s-compositeur.ice.s sont ceux et celles qui en souffrent le plus.

Avantages et alternatives

En dépit de ces obstacles, Watson souligne que quelques avantages perdurent. Si les artistes devaient auparavant ne compter que sur les concerts pour se créer une base d’auditeur.ice.s, les plateformes telles que Spotify et Apple Music leur permettent maintenant de se faire découvrir sans passer par des compagnies intermédiaires. « C’est surtout utile en temps de pandémie », explique-t-elle, faisant allusion aux nombreuses tournées qui ont été annulées au cours des dernières années.

Madran-Cyr indique qu’il ne planifie pas retirer sa musique des plateformes de diffusion en continu, puisqu’elles permettent tout de même une certaine visibilité et qu’il « ne peut pas se permettre » de la retirer pour l’instant. « Pour un artiste comme Neil Young, ça ne lui coûte rien de le faire ! », s’exclame-t-il.

D’après Watson, la radio demeure une bonne alternative aux plateformes de diffusion en continu pour le moment, et est «meilleure [pour les artistes] à un certain point ». Elle représente une méthode de promotion gratuite et offre plus de chances aux nouveaux.elle.s artistes. Pour Madran-Cyr, un retour aux services comme Soundcloud et Bandcamp est à préconiser puisque, contrairement à Spotify, le revenu est presque entièrement versé aux artistes.

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