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Arts et culture

The Woman King : exactitude historique ou représentation ? 

Mabinty Toure
15 octobre 2022

Crédit visuel : Archives

Chronique rédigée par Mabinty Toure – Journaliste 

Depuis la sortie de sa bande annonce le 2 août dernier, je me préparais à aller voir le film The Woman King. Réalisé par Gina Prince-Bythewood, l’œuvre cinématographique met en scène une formidable distribution d’actrices noires dont Viola Davis, Lashana Lynch, Sheila Atim et d’autres encore. C’était la première fois que je regardais autant de femmes noires jouant des guerrières, incarnées sur un aussi grand écran qu’est celui du cinéma hollywoodien.

Sorti le 16 septembre, The Woman King, ou La femme roi en français, est un film inspiré de faits historiques réels. Il présente les Agojie, troupe militaire féminine du Royaume du Dahomey (actuellement le Bénin) en 1823, sous le règne du roi Ghézo. Ce royaume est connu pour avoir participé au commerce d’esclaves, d’où la polémique entourant le film.

Problèmes d’exactitudes historiques 

La controverse vient, en partie, des faits historiques dépeints dans le film. Les guerrières représentées dans The Woman King ont bel et bien vécu. On les appelait « Mino » (« nos mères » en Fon) ou Amazones du Dahomey. Ces femmes ont formé une troupe militaire dans le royaume du Dahomey, qui a existé jusqu’à la fin du XIXe siècle. Dans le film, les « Agojie » représentées sont celles du roi Ghézo, qui a régné de 1818 à 1858. Durant son règne, il a décidé d’investir dans son armée, qui comptait entre 4 000 et 6 000 « minos ».

Le film a essayé de rester fidèle à la réalité de ces guerrières. Les Agojie, ou Minos, étaient particulièrement impressionnantes ; elles renforcent continuellement leur musculature, elles s’entraînent à combattre avec des machettes, et parfois avec des armes à feu. On entend le personnage principal Nanisca, joué par Viola Davis, prononcer leur slogan : « vaincre ou mourir ». Le film dépeint à quel point elles étaient redoutées par tou.te.s, avec des scènes où on les aperçoit ramener les têtes de leurs adversaires, et où la population baisse la tête à leur passage. Tous ces faits sont vérifiables sur les moteurs de recherches web, et rapportés par des historien.ne.s.

Cependant, les personnages sont pour la plupart fictifs. Nawi, qui dans la production représente la fille de Nanisca, la « Migano » (générale des Agojie) porte le nom de la dernière Mino vivante, morte en 1978.

La cause de la polémique se révèle lorsqu’on apprend que le Royaume du Dahomey vendait des captifs de guerres à d’autres royaumes et aux peuples européens. Le royaume du Dahomey a utilisé le commerce d’esclaves pour obtenir des biens, tels des fusils, des poudres, et bien d’autres, afin d’asseoir son pouvoir dans la région. Sous le règne de Ghézo, il a continué les raids de ce commerce d’esclaves jusqu’en 1850, au moment où les Britanniques ont instauré un blocus. Ce que le film choisit de modifier, en présentant un récit ou les Agojie défient le roi et l’encouragent à stopper ce commerce d’esclaves.

Débats constants

Ce problème d’exactitude historique a suscité un très grand débat au États-Unis, sur le réseau social Twitter. Suivant plusieurs personnalités américaines, j’ai remarqué de nombreuses discussions de personnes affirmant que le film a romantisé la réalité. Je suis tombée sur une publication d’Iray Malcolm, qui dit : « au détriment de l’histoire africaine, La Femme Roi dissimule la participation du Dahomey à la traite transatlantique des esclaves entre 1715 et 1850 ». Cet argument a été repris par beaucoup de personnes, jusqu’à mener à un appel au boycott sous le hashtag #BoycottWomanKing.

D’autres partagent l’avis que le film choisit de mettre en lumière cette réalité, et non pas de la cacher. Après avoir vu le film, Chloé S. Valdary écrit le gazouillis suivant : « Il dépeint en fait le royaume luttant avec son propre rôle dans le commerce d’esclaves. Un autre moment où vous avez besoin de vous détendre ». Le journal du Los Angeles Times détaille les réponses de Julius Tennon, un des producteurs de La Femme Roi, qui exprime qu’une œuvre de cinéma sert à divertir les gens ; si elle ne fait que décrire le passé, ce serait là un documentaire, et non un film. Selon lui, les personnes sont libres de faire des recherches pour en savoir plus sur l’histoire.

Autour de moi, les avis sont plutôt positifs. En tant qu’étudiante internationale africaine, je suis sortie du film avec un sentiment agréable. J’ai passé un bon moment avec mes proches, dont certain.e.s Béninois.e.s et certain.e.s connaisseur.se.s de l’histoire africaine. Nous avons discuté des éléments que nous avons reconnus et appréciés et des choses qui n’étaient, selon nous, pas très réalistes.

Un film ou un documentaire ? 

Tout cela me mène à la question : pourquoi regarde-t-on un film ? Pour moi, la réponse, c’est pour se divertir. Aller au cinéma est pour moi un moment de détente, un moment où je souhaite sortir de ma réalité. Si la réalisatrice du film avait choisi de mettre sur nos écrans un récit complètement exact, je pense que plusieurs personnes ne l’auraient pas visionné. Il faut bien que ça se vende.

Mais cela me ramène au sujet de la représentation. Après la sortie du film Black Panther, je me suis réjouie de voir plus de personnes noires au cinéma. La sortie de film comme The Woman King ouvre la porte de la critique, mais surtout, à de l’amélioration.

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