
20 ans d’évolution de recherche en santé dans le milieu francophone minoritaire
Crédit visuel : Sophie Désy – Photographe
Article rédigé par Hai Huong Lê Vu – Journaliste
Le 3 octobre dernier, le Centre de Recherche sur les Francophonies canadiennes (CRCCF) a inauguré sa série d’événements « Les Rendez-vous du CRCCF » avec une table ronde intitulée « La santé en contexte minoritaire francophone au Canada : 20 ans de recherche ». Cette rencontre, qui s’est tenue au Pavillon Simard, a donné lieu à une discussion sur les obstacles que rencontrent les communautés francophones minoritaires canadiennes quant à l’offre de soins de santé en français.
L’identité linguistique comme facteur de santé
Louise Bouchard, titulaire de la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa et de l’Institut du savoir Montfort sur la santé des francophones de l’Ontario, a assuré la direction de l’édition numéro 22 du journal Minorités linguistiques et société. Lors du panel, elle a abordé divers aspects liés aux déterminants de la santé : selon l’experte, l’appartenance à la communauté francophone en situation minoritaire devrait compter parmi ces facteurs. Elle a toutefois mis en évidence la faiblesse des échantillons dans les études liées à ce sujet.
En réponse à la problématique mentionnée par Bouchard, Normand Glaude, directeur du Réseau des services de santé en français de l’est de l’Ontario, a abordé le portail OZi. Ce portail lancé auprès de plus de 1 500 fournisseur.se.s de soins, recueille des données et met en évidence les lacunes dans l’offre de services en français.
Bouchard a poursuivi la conférence en se penchant sur la question de la santé mentale au sein des communautés francophones marginalisées. Elle a mis en lumière des niveaux élevés de dépression, d’anxiété et de toxicomanie, particulièrement parmi les jeunes et les nouveaux.elles arrivant.e.s. « Si l’on perçoit que sa communauté est en déclin […], on éprouve moins un sentiment d’appartenance », développe la titulaire de l’ISM en entrevue avec La Rotonde. L’experte ajoute que l’insécurité linguistique provoque davantage un sentiment d’infériorisation. À l’inverse, elle a observé qu’une identification ethnolinguistique solide contribue positivement au bien-être mental.
Des disparités linguistiques en santé
Sébastien Savard, professeur en travail social à l’U d’O, a souligné durant la conférence la rareté de la main-d’œuvre médicale bilingue comme principal écueil dans l’accessibilité aux soins en français. De plus, il a précisé comment l’inégale distribution des ressources, avec une présence limitée des expert.e.s de la santé dans les régions francophones minoritaires, exacerbe cette problématique.
Isabelle Giroux, professeure de nutrition à l’U d’O, a quant à elle accentué l’importance cruciale de maîtriser la langue française pour améliorer l’offre active. Selon ses observations, seul.e.s 30 à 40 % des locuteur.ice.s francophones osent demander des prestations en français, évoquant généralement des préoccupations liées au manque de tolérance de la part du personnel médical ou à leur crainte de ne pas posséder des compétences linguistiques suffisantes.
L’experte en alimentation a renchéri en révélant qu’un accès restreint aux soins médicaux en français peut entraîner du stress supplémentaire et des questions de confidentialité et de confiance patient.e-soignant.e. Elle a déduit que cette situation nuit à la crédibilité des praticien.ne.s auprès de leur patientèle. Afin de remédier à ce problème, la professeure suggère vivement que le personnel soignant mette proactivement en place des consultations dans la langue française, plutôt que d’attendre qu’un.e client.e exprime son souhait d’en obtenir.
Vers une gestion améliorée des droits linguistiques
Jacinthe Savard, professeure émérite en sciences de la réadaptation à l’U d’O, a commenté que les ressources qui pourraient être destinées à ce secteur sont souvent redirigées vers d’autres domaines. Savard a plaidé pour un financement provenant d’organismes comme Patrimoine Canada, qui permettrait d’améliorer les services en français dans les communautés minoritaires.
Bouchard a mentionné qu’elle souhaite améliorer les informations sur la santé des communautés francophones en Ontario en intégrant les bases démographiques et linguistiques dans les bases de données de santé, à l’instar des Territoires du Nord-Ouest et de la Nouvelle-Écosse. Elle a estimé que l’indication de l’identité linguistique sur la carte d’assurance-maladie contribuerait significativement à simplifier l’accès aux soins de santé en français.
Selon Éric Forgues, directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, il existe des distinctions marquées dans les législations provinciales concernant les droits pour les francophones en minorité. D’après lui, toutes les cliniques néo-brunswickoises ont l’obligation légale de fournir des services bilingues, contrairement à certaines zones géographiques de l’Ontario et du Manitoba. Pour remédier à cette situation, Forgues a proposé de mettre en place des campagnes de sensibilisation, des programmes de formation adaptés et un accompagnement accru auprès des établissements médicaux.
Présente à la table ronde, Andrée Anne Limoges, coordinatrice au CRCCF et organisatrice de la table ronde, a avoué que, étant d’origine québécoise, son séjour en Ontario lui a permis de mieux comprendre les défis auxquels font face les francophones minoritaires canadiennes, notamment dans le secteur de la santé.
Le jeudi 24 octobre prochain aura lieu une table ronde virtuelle de CRCCF, autour des « Regards socio-politiques sur l’Acadie contemporaine ». Cette fois, l’événement réunira Stéphanie Chouinard, professeure en science politique au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s, et Rémi Léger, professeur en science politique à l’Université Simon Fraser.