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Arts et culture

Au coeur du processus créatif de Michel Tremblay

Nonibeau Gagnon-Thibeault
22 novembre 2022

Crédit visuel : Laurent Theillet – Courtoisie 

Article rédigé par Nonibeau Gagnon-Thibeault – Journaliste

Le dramaturge québécois Michel Tremblay s’est entretenu avec Julien Morissette, le directeur artistique de Transistor Média, au Centre national des Arts (CNA), jeudi dernier. L’entrevue s’est tenue en marge des représentations de sa plus récente pièce, Cher Tchekhov. Tremblay a abordé le processus de création derrière sa pièce ainsi que de sa vision du théâtre.

Créer un alter-égo pour se permettre de créer

Âgé de 80 ans, Tremblay continue toujours de produire du théâtre. Cher Tchekhov est une adaptation théâtrale de son roman Le coeur en bandoulière, paru en 2019. Le processus créatif est au centre de cette pièce, où l’alter-égo de Tremblay, Jean-Marc, connaît un blocage d’écriture et se questionne pour savoir si sa pièce sera jouable.

« Vous allez voir la naissance d’une pièce de théâtre, comment un auteur écrit une pièce. Il coupe, il rature, il se trouve ridicule », explique Tremblay. Ce dernier avoue toujours ressentir de la nervosité avant une de ses pièces de théâtre. « J’ai encore l’impression que […] les personnes ont acheté des billets pour venir haïr ma pièce. Ça m’a suivi toute ma vie », partage-t-il en entrevue avant sa représentation au CNA.

Ce trac le suit encore à un tel point qu’il a tendance à assister aux représentations de ses pièces en coulisse plutôt qu’en salle. La dernière fois que Tremblay était en salle pour assister à une de ses premières, en 1972, un décor est tombé sur la tête des acteur.ice.s. « Paranoïaque, j’ai décidé que c’était ma faute et que plus jamais je ne serai dans la salle un soir de première », révèle-t-il.

Une place centrale à l’interprétation

Tremblay relate avoir créé le personnage de Jean-Marc dans le but de passer par-dessus un blocage artistique qui a duré plus de trois ans. Écrivant une pièce centrée sur les acteur.ice.s, il craignait que ceux.celles-ci pensent qu’il les haït. « Je me suis dit que je vais prendre mon alter-égo […] et je vais lui donner la tâche de finir la pièce à ma place », raconte l’écrivain. « Comme ça, s’il faisait une mauvaise pièce, ce n’était pas de ma faute », ajoute-t-il en riant.

Ce doute qui suit Tremblay s’incarne dans Cher Tchekhov avec une multitude d’interprétations d’un même texte. « C’est un des plus beaux mots : interprétation », estime-t-il, car il s’agit d’un processus créatif en soi. « Deux acteur.ice.s avec des sensibilités différentes peuvent incarner un personnage de façon différente », souligne l’auteur. L’artiste trouve qu’il est important de voir plusieurs productions d’une même pièce puisque tout change, sauf le texte.

Donner place à l’être humain

Pourquoi cet hommage à Tchékhov ? Car le russe lui a fait comprendre que le théâtre est universel, en ce qu’il met en scène des humains qui restent les mêmes personnages peu importe où on les joue. Tremblay avoue ne pas apprécier le théâtre de Camus et Sartre, qui jouent davantage sur les idées. « Ce qui est important  sur scène, c’est qu’il y ait des humains et non des idées », juge le dramaturge.

Tremblay justifie cette préférence en donnant en exemple les représentations de ses pièces à travers le monde. La représentation de la Saskatchewan par un metteur en scène et un décorateur chinois à Singapour n’ont rien à voir avec la province que connaissent les Canadien.ne.s. Toutefois, les personnages, eux, restent les mêmes, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde. « Les gens vont rire et pleurer aux mêmes endroits, mais des fois pour des raisons différentes parce que l’interprétation va avoir été différente », développe le québécois.

L’écrivain national du Québec s’est épaulé de Serge Denoncourt à la mise en scène, avec qui il travaille depuis 30 ans. Morissette lui a demandé pourquoi ils avaient une aussi bonne chimie ensemble. « On a le même sens de l’esthétique », répond Tremblay. Morissette lui a fait remarquer que Denoncourt a déjà partagé aux médias que le théâtre de Tremblay fut une bougie d’allumage pour lui. « On ne parle pas de ça », lance-t-il.

Est-ce qu’à son âge Tremblay va arrêter d’écrire ? Il se montre catégorique : non. « Une passion, ça ne passe pas. Une passion reste une passion », affirme-t-il. Bien qu’il remette en question la pertinence de ses œuvres en raison de son âge, l’homme de théâtre compte continuer à créer. « Même dans ma tombe, je vais écrire », ironise l’artiste marquant de la Révolution tranquille.

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