Chère campagne électorale. Cordialement, de jeunes électeur.rice.s frustré.e.s
Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique
Un éditorial rédigé par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef
Cette année, plusieurs membres de notre équipe votent pour la deuxième fois aux élections fédérales. Mais, on n’a pas le goût de voter. Ça ne nous tente pas. On vote, en fait, à contrecœur. Nos intérêts ne semblent compter pour rien dans le cadre de ce scrutin.
Le constat est clair, le désespoir règne ; on ne parle pas des élections entre nous, il n’y a même pas d’événements liés aux élections sur le campus uottavien. Pas de message de Jacques Frémont. De plus, aucun.e candidat.e n’est venu.e nous rendre visite.
Pourquoi, pourquoi, pourquoi, vous demandez-vous ? Parce que cette élection ne nous parle pas, et elle ne nous vise clairement pas.
Vision absente
En entrevue avec La Rotonde, Daniel Stockemer, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, nous a aidé à mieux comprendre cette apathie politique actuelle chez nos pair.e.s.
Il commence en s’attaquant au noyau de la situation : « Le problème est qu’il y a un manque de vision […], l’innovation [des plateformes] fait défaut ». Il a raison, non ? Pensez-y bien. Quelle vision nous propose chacun.e des chef.fe.s politicien.ne.s pour le Canada ?
Ils.elles n’en ont pas vraiment une.
Cette élection aurait dû nous présenter des visions pour un Canada post-pandémique. Cependant, les partis fédéraux ne semblent pas avoir d’idées réelles pour l’avenir du Canada ; leurs plateformes sont effectivement plates, superficielles, et très avares de détails.
D’ailleurs, Stockemer précise que ce qui séduit particulièrement la jeunesse électorale est une campagne de mobilisation. Ça les encourage à voter.
Par exemple, la légalisation de la marijuana était un enjeu mobilisateur lors des élections de 2015 ; le changement climatique était la problématique polémique de 2019. Or, cette année, aucun parti politique n’a mis de l’avant un enjeu majeur pour les Canadien.ne.s.
C’est réellement honteux parce qu’à la lueur des nombreuses découvertes récentes de dépouilles d’enfants autochtones, cette campagne électorale aurait pu constituer l’occasion d’aborder plus concrètement les enjeux autochtones. Mais non, on baigne dans la médiocrité.
Sinon, d’autres questions pertinentes et urgentes pour les étudiant.e.s, comme le racisme ou le marché du travail après la pandémie, devraient être au centre de l’agenda électoral. Ce qu’on a largement vu, toutefois, ce sont des leaders qui se chamaillent et qui s’empressent de rappeler à Trudeau à quel point ces élections sont inutiles. Ce n’est pas qu’ils.elles n’ont pas raison, c’est qu’il y a d’autres thèmes à débattre.
Ce manque de vision est particulièrement déplorable pour nous, la voix étudiante. C’est symptomatique d’un décalage important et évident entre les chef.fe.s et nous. Nous constituons déjà le groupe démographique qui vote le moins selon les données d’Élections Canada. Nous avons du mal à nous projeter dans l’avenir que nous proposent les chef.fe.s particulièrement quand ils.elles ne nous promettent pas grand chose.
Voix étudiante réprimée
Cependant, ce qui a vraiment scellé le fait que cette élection ne s’adresse pas à nous, les étudiant.e.s, c’est que les bureaux de scrutin sont largement inexistants sur les campus universitaires, y compris le nôtre.
Élections Canada a bel et bien annoncé le mois passé qu’on n’installerait pas de bureaux de scrutin sur les campus pour des raisons de « logistique ». Traduction : le vote étudiant n’est apparemment pas assez important pour l’organisation.
Stockemer expose le caractère fallacieux de cette décision en évoquant la théorie du « choix rationnel » utilisée dans les études électorales.
« [La théorie] renvoie aux coûts et aux avantages du vote [pour un.e électeur.rice] . Et si le vote est organisé sur le campus, idéalement pendant plusieurs jours, le coût du vote est diminué énormément pour les étudiant.e.s. Un.e étudiant.e peut voter là où il.elle se trouve, là où il.elle va à l’école », élabore le professeur en sciences politiques. Selon Stockemer, l’absence des urnes sur les campus aura probablement pour conséquence une augmentation du taux d’abstention chez les jeunes lors de cette élection.
Sachant que le taux de vote est faible chez les jeunes et que « l’accès » est l’un des obstacles majeurs empêchant les jeunes électeur.rice.s comme nous d’exercer notre droit, Élections Canada a clairement eu tort de bannir les bureaux de vote des campus. La décision constitue une attaque contre la démocratie et une mesure délibérée pour étouffer la voix de la jeunesse.
Pandémie et droit de vote
C’est un euphémisme de prétendre que cette élection arrive à un moment inopportun. Et ce, pour tou.te.s. Mais, pour les étudiant.e.s du postsecondaire, le timing est particulièrement désagréable. Rappelons que nos horaires sont chargés, nous sommes stressé.e.s, et nous nous habituons à un tout nouveau style d’enseignement – l’approche bimodale. Trudeau n’avait certainement pas compris notre réalité actuelle lorsqu’il a déclenché cette élection.
Notre réalité, c’est que nous vivons une transition vers une année scolaire semi-normale, et une élection fédérale précipitée ne fait qu’ajouter au stress déjà élevé de notre rentrée. Tout ce que nous voulons, après avoir vécu une année et demie sous le régime de la COVID-19, c’est une vie normale. Et une élection inutile, qui ne sert pas du tout nos intérêts et qui restreint nos droits démocratiques, n’est pas une priorité.
Aujourd’hui, le jour de l’élection, nous exercerons notre droit de vote [si possible], nous exprimerons notre opinion politique, nous nous rendrons aux urnes, mais nous le ferons sûrement à contrecœur.