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Crise sécuritaire : que se passe-t-il en Équateur ?

Jessica Malutama
6 février 2024

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice artistique

Entrevue réalisée par Jessica Malutama — Journaliste

Le 8 janvier, le président de l’Équateur, Daniel Noboa, a décrété l’état d’urgence dans l’ensemble du pays à la suite de prises d’otages et d’incidents violents survenus entre les autorités et les gangs de narcotrafiquants. La Rotonde s’est entretenue avec Salvador Herencia Carrasco, professeur à temps partiel à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa et spécialiste du droit international et de la personne, pour éclairer la situation actuelle et l’avenir du pays.

La Rotonde (LR) : Qu’est-ce qui a déclenché le nouvel enchaînement d’évènements violents qui se déploient en Équateur depuis quelques semaines ?

Salvador Herencia Carrasco (SHC) : La situation en Équateur, bien que complexe, est loin d’être exclusive au pays. Plusieurs pays en Amérique latine connaissent la même réalité. L’absence de politiques publiques préventives mises en place par l’État a permis au crime organisé d’épandre ses activités et d’infiltrer des secteurs clés du gouvernement responsable du contrôle étatique et de la prise en charge des délits. Cela inclut l’appareil judiciaire, la police et les bureaux du procureur. Cela, couplé à la présence de la corruption, constitue la recette parfaite pour ce que nous avons vu il y a deux semaines. Ceci est l’échec de l’État et de plusieurs gouvernements précédents à efficacement criminaliser le crime organisé.

LR : Qu’est-ce qui est à l’origine de l’instabilité politique à laquelle fait face l’Équateur depuis quelques années ? Le pays affiche une hausse du taux d’homicides depuis 2019.

SHC : S’il fallait identifier un point de bascule à l’origine des violences, ce serait l’année 2019 où l’on a vu plusieurs mutineries survenir dans les prisons équatoriennes. Les pénitenciers sont devenus des centres d’opérations pour les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et des lieux d’affrontement entre les membres du crime organisé et les gardiens de prison. Plutôt que de s’attaquer à ce problème structurel par l’adoption de mesures préventives, l’État a toujours décidé d’employer la force. Or, l’expérience de la guerre contre la drogue montre qu’il ne suffit pas d’utiliser l’armée ou la police pour résoudre de telles situations.

LR : Comment la situation géographique de l’Équateur peut-elle nous éclairer sur les tensions internes que connaît actuellement le pays ?

SHC : L’Équateur a toujours été un pays relativement pacifique, surtout si on le compare au Pérou et à la Colombie. L’augmentation en approvisionnement de cocaïne au Pérou et le vide créé par l’accord de paix de 2016 conclu entre les FARC et l’État colombien ont amené les cartels mexicains et les FARC à considérer l’Équateur comme un lieu de transit pour la drogue. Le pays ne produit pas de drogues, mais il se trouve dans une position privilégiée pour l’acheminement d’une grande partie des transports de drogue vers le nord, y compris vers le Canada. Il est important de savoir que ce phénomène n’est pas nouveau, car cela survient depuis toujours dans cette région du monde.

LR : Qu’est-ce que l’état d’urgence décrété par le président Noboa implique-t-il ? Selon vous, cette offensive est-elle efficace pour lutter contre les organisations criminelles ?

SHC : L’Organisation internationale des droits de la personne a affirmé que la situation qui s’est développée dans les prisons équatoriennes dans les dernières années pourrait déboucher sur une crise institutionnelle des systèmes judiciaire et pénitentiaire du pays. Différents affrontements entre les membres du crime organisé et la police ont créé des situations dangereuses.

Après avoir déclaré l’état d’urgence, le président Noboa a adopté le décret 111 par le biais duquel il reconnaît trois choses. D’abord, il déclare qu’il y a une situation de conflit armé interne dans le pays. Ensuite, il détermine que les organisations criminelles sont des organisations terroristes et qu’ainsi, selon des obligations internationales, l’État se doit de prendre des mesures pour contrer la menace terroriste. Enfin, le décret énonce que la situation de guerre exige que le gouvernement assure le contrôle et la pacification du territoire selon la règle du droit international humanitaire (DIH).

Je crois qu’avec le cas de l’Équateur, nous assistons à une instrumentalisation du droit humanitaire afin de légitimer la présence et le contrôle de l’ordre public par les forces armées. Ceci est une erreur à bien des égards, car le but du DIH est de protéger les civils, les installations civiles, et de limiter les hostilités. Le DIH ne peut donc pas être utilisé pour faire face au crime organisé.

LR : Selon vous, quels moyens l’État devrait-il mettre en place afin de pallier la crise sécuritaire ? De plus, quel avenir est-il possible d’espérer pour le pays ?

SHC : L’adoption du décret 111 par le gouvernement équatorien fera prochainement l’objet d’une révision par la Cour constitutionnelle équatorienne. Dans ses révisions juridiques, la Cour délimitera les moyens d’action du gouvernement de Noboa à la suite de la déclaration de l’état d’urgence. Je crois qu’elle donnera à ce dernier des directives précises afin que ses actions soient conformes à la Constitution et à la Charte internationale des droits de la personne.

Au niveau de l’exécutif, j’aimerais que le gouvernement et les différentes organisations puissent travailler ensemble pour faire face à cette situation problématique. Il est encore temps d’adopter une politique à plusieurs niveaux pour lutter contre le crime organisé, et cela, sur le long terme.

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