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Éditorial

Entre complicité et toxicité : l’affaire Julie Payette

Rédaction
1 février 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique 

Éditorial rédigé par Caroline Fabre — Rédactrice en chef

Alors que les contextes sanitaire et politique sont au coeur de la tourmente, la Gouverneure générale Julie Payette annonçait sa démission le 21 janvier dernier, moins de quatre ans après être entrée en fonction. Sa décision survient suite à la soumission au gouvernement d’un rapport concernant l’environnement de travail toxique qu’elle aurait développé à Rideau Hall. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces faits sont loin d’être surprenants. 

La représentante de la Reine Élisabeth II au Canada, également commandante en chef du pays, se doit de le représenter et de rapprocher sa population. Quelle meilleure manière de le faire qu’en harcelant ses collègues ? L’ancienne astronaute de l’Agence spatiale canadienne, ingénieure de formation, et ancienne directrice de l’exploitation du Centre des sciences de Montréal. Elle occupait un rôle important dans un gouvernement minoritaire, puisqu’elle avait notamment le pouvoir de convoquer, de proroger et de dissoudre le Parlement ; rappelons que les  libéraux sont actuellement minoritaires au Parlement. Et qui dit rôle important dit aussi caractère conséquent, aux risques et périls de celles et ceux qui ont eu le plaisir de la fréquenter dans un cadre formel.

Environnement toxique

C’est en énonçant que « toute personne a droit à un environnement de travail sain et sûr, à tout moment et en toutes circonstances », que l’ancienne Gouverneure générale a débuté la déclaration annonçant sa démission. Bien qu’ayant évoqué des raisons personnelles, notamment la santé de son père, comme motif de démission, ce sont pourtant des plaintes pour gaslighting qui auraient eu raison de son poste. Ayant contribué à la toxicité qu’elle évoque, elle est accusée, avec la secrétaire de la Gouverneure générale Assunta Di Lorenzo, de harcèlement envers les employé.e.s de Rideau Hall. 

Des sources gouvernementales rapportent qu’en seulement quatre mois, deux douzaines de personnes ont signalé à la direction des comportements abusifs de sa part ou de celle de Di Lorenzo. Impressionnant, pas vrai ? Même la Fédération Étudiante de l’Université d’Ottawa n’avait pas fait aussi bien. 

Après avoir analysé le climat de travail au cours des trois ans de règne de Payette, la société Quintet Consulting Team a finalement rendu un rapport affichant des chiffres inquiétants. Commandé par le Bureau du Conseil privé que supervise le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, le rapport concluait que Rideau Hall « était de toute évidence un lieu de travail inacceptable ». Pensée pour le moins perspicace quand nous savons que treize employé.e.s et ancien.ne.s employé.e.s de Rideau Hall avaient accepté de parler à Radio-Canada, sous couvert d’anonymat, craignant d’éventuelles représailles. 

Certain.e.s parlent même d’un véritable régime de terreur, ponctué de crises de larmes, de colère, de hurlements, de comportements agressifs, et même d’humiliations publiques. « 75 % des 92 participants à l’exercice, qui a été mené de façon confidentielle, ont décrit le milieu de travail comme étant «hostile» ou «négatif» (43 personnes), voire «toxique» ou «empoisonné» (26 personnes). Une personne sur cinq (20 en tout) a confié «avoir été témoin de harcèlement» ou y a fait référence », partageait La Presse suite à la publication du rapport.

Combien de temps ces personnes ont-elles enduré les mauvais traitements infligés par une femme au caractère pour le moins explosif ? Car, même celles et ceux qui ont cherché de l’aide se sont retrouvé.e.s face à un mur, puisque les responsables « ont dit au personnel qu’ils.elles ne pouvaient rien faire contre le harcèlement, parce qu’ils.elles étaient victimes de ce même harcèlement », citaient certaines des treize personnes anonymes à Radio-Canada. 

Dans la suite de la déclaration annonçant sa démission, Payette s’est justifiée en disant que « nous vivons tous les choses différemment ». Ça veut dire quoi cette phrase ? Qu’elle ne pensait pas à mal en humiliant ses collègues ? Faire preuve de mauvaise foi et ne pas assumer ses actes ne mènera cependant à rien, surtout quand plusieurs personnes, treize ici, vous accusent de quelque chose. Pourquoi personne n’a d’ailleurs réagi depuis 2017 ? Si l’excuse du soudain comportement toxique aurait pu passer avec quelqu’un d’autre, le passé trouble de Payette ne lui permet pas ce doute. 

Passé tourmenté 

Nommée par le Premier ministre Justin Trudeau lors d’un processus plutôt flou, l’ancienne astronaute avait déjà été l’objet de plaintes non officielles dans le passé. Déjà accusée de harcèlement verbal et d’intimidation alors qu’elle travaillait pour le Comité olympique canadien en 2017, deux enquêtes internes sur son traitement du personnel avaient été menées. 

Bien que reconnue innocente, elle avait heurté une femme avec sa voiture en 2011, entraînant son décès. La même année, elle avait également été accusée d’agression au second degré sur son mari, dans le Maryland aux États-Unis. Depuis quand quelqu’un ayant ce genre d’antécédents est-il éligible au gouvernement ? Violence domestique, décès et environnement toxique ; la liste des autres candidat.e.s était-elle réduite à ce point pour que la Reine Élisabeth II soit finalement représentée par Payette ?

Trudeau au poteau

En parlant de liste de candidat.e.s, les circonstances d’embauches de la Gouverneure générale sont encore aujourd’hui controversées. Nombreux.ses sont celles et ceux qui reprochent à Trudeau les démarches troubles entourant l’embauche de Payette, alors qu’il avait ignoré le processus de nomination instauré sous l’ancien Premier ministre conservateur Stephen Harper. Il lui est également reproché d’avoir choisi une candidate vedette sans s’assurer qu’elle était qualifiée pour le poste.

Trudeau savait-il que Payette ne séduirait pas le comité de sélection ? Il est cependant bon de rappeler qu’en 2017,  plus de la moitié des Canadien.ne.s avaient approuvé sa nomination au poste de Gouverneure générale, pointait un sondage Angus Reid.

Si le Premier ministre Justin Trudeau assure que « chaque employé.e du gouvernement du Canada a le droit de travailler dans un environnement sûr et sain, et nous prendrons toujours cela très au sérieux », alors pourquoi n’a-t-il pas réagi plus tôt ? Certes, aucune plainte officielle n’a été déposée, mais en tant que Premier ministre, il est responsable de tout ce qui se produit à Rideau Hall. Cela implique le développement d’un environnement toxique.

Compensation financière

Il reste maintenant à élucider la question relative à l’argent ; si Payette est autorisée à toucher les 150 000 $ de pension annuelle alors qu’elle a démissionné, n’est-ce pas là une banalisation des comportements toxiques ? Qu’en est-il des victimes de cet environnement toxique justement ? Auront-elles, elles aussi, droit à une compensation financière ? Car le Sénat avait accepté de verser 498 000 $ de compensation à neuf anciens employés de l’ex-sénateur Don Meredith, accusé de harcèlement sexuel, de dépréciation et d’humiliation de son personnel. 

Si Payette est une femme ambitieuse, qui aura marqué l’Histoire puisqu’elle est la première Canadienne à être allée dans la Station spatiale internationale, elle devient aussi la première Gouverneure générale à quitter ses fonctions depuis la Confédération du Canada en 1867. Il reste maintenant à savoir pour lequel de ces deux exploits Payette restera dans les annales. 

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