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Opinions

L’éco-anxiété est-elle une préoccupation des élites ?

Ismail Bekkali
12 août 2024

Crédit visuel : Archives

Chronique rédigée par Ismail Bekkali — Journaliste

Le terme d’éco-anxiété désigne l’inquiétude maladive que pourrait provoquer le réchauffement progressif de notre planète et notre inaction à y remédier. La formulation actuelle de ce concept me pose problème pour diverses raisons. Dans un monde où guerre et crise économique sont des réalités qu’on touche du doigt, l’anxiété que pourrait provoquer la surabondance d’emballages plastique au supermarché me semble être une urgence moins prioritaire que d’autres.

Un concept à la fois universel et inutile 

La Terre est en flammes, nous le savons. Catastrophes naturelles, inondations, vagues de chaleur, et climatiseur en panne sont toutes des réalités véritablement dramatiques et plus ou moins partagées. Si beaucoup sont dans le déni de ces signes avant-coureurs de la fin du monde, d’autres au contraire sont épris d’un puissant sentiment d’angoisse. En effet, la capacité opportune d’oublier le danger telle une autruche mettant la tête sous terre n’est pas donnée à tou.te.s.

L’éco-anxiété, comme pathologie prise au sérieux, permet de nommer ces craintes et de les légitimer aux yeux d’un public inconscient de leur gravité. Car oui, l’éco-anxiété est un concept large, qui irait au-delà d’une simple problématique socio-écologique, mais serait aussi psychique, et nécessiterait même dans certains cas un suivi médical. Mais peut-être est-ce là le cœur du problème : l’ampleur démesurée du terme et de ce qu’il désigne. Un mot parapluie beaucoup trop large, à tel point qu’il perd son but et sa définition initiale.

En réalité, l’éco-anxiété pourrait aussi bien faire référence à la détresse des habitant.e.s de la Martinique qui voient leur maison couler progressivement, qu’à l’inquiétude d’un citadin bobo face au manque de tofu bio à l’épicerie du coin. Bien que les efforts de ce personnage bourgeois et écolo soient appréciés, définir son stress et celui de migrant.e.s climatiques par un même mot revient inconsciemment à accorder aux deux situations un niveau d’importance similaire. Ce mot ne peut pas traduire la gravité critique que ces situations impliquent. Efforçons-nous donc d’au moins différencier anxiété et détresse climatique.

Une question de perception et de communication

Outre sa portée hyperbolique, ce mot est criminel de sa légèreté, et de l’image qu’il incite au premier abord aux oreilles du public. Cette image est, dans le pire des cas, celle d’une préoccupation superficielle, frivole, et propre à une classe sociale tellement aisée que seule la destruction de son monde pourrait l’inquiéter. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une pathologie, une problématique sérieuse et une source d’anxiété nécessitant un suivi, mais dont la portée est hélas limitée par son caractère individuel.

L’éco-anxiété paraît alors être un trouble personnel égocentrique et dénué d’empathie, comme si le réchauffement climatique n’affectait que les personnes ressentant de l’anxiété à ce sujet. Cette impression erronée m’a poussé à m’interroger sur l’origine de ce sentiment. Pourquoi est-ce que cette image puérile est la première chose qui me soit venue en tête en écoutant un podcast sur le sujet ?

Les mots ont une définition écrite, mais aussi une connotation visuelle, formée à force d’utilisations non contextuelles, comme c’est le cas avec l’éco-anxiété. Malgré ses bonnes intentions, cet innocent néologisme linguistique rime avec un persona propre au XXIe siècle, un persona écolo, gauchiste, et wokiste. Ainsi, la radicalité politique s’immisce insidieusement dans la tête de chaque personne faisant face à un.e militant.e se disant touché.e par l’éco-anxiété.

Les limites de l’activisme éco-anxieux

Pourquoi donc cette mauvaise presse ? Dans une quête idéologique basée sur la défense de valeurs progressistes, peut-être que nos cher.e.s militant.e.s se sont un peu trop attaché.e.s à cette vertu, bloquant souvent tout accord avec d’autres bords idéologiques. Le sentiment d’angoisse que l’on peut ressentir dans la vie de tous les jours en regardant l’état du monde est parfaitement valide et mériterait d’être abordé intelligemment. Cependant, imposer cette conviction comme vérité absolue, tout en s’offusquant à toute proposition divergente ne fait que salir davantage l’image de cette cause et de ses militant.e.s.

Lucides quant à l’état déplorable de notre planète, nos activist.e.s éco-anxieux.se.s ont le mérite de prendre cette préoccupation au sérieux. À défaut de pouvoir défenestrer toute personne ne considérant pas la question climatique comme une priorité, iels sont forcé.e.s de cohabiter avec ces personnes, ou pire encore, de les convaincre ! Malheureusement, être certain.e du bien-fondé de sa cause ne suffit plus, il faut être intellectuellement charmant.e pour ramener tous ces égaré.e.s sur le droit chemin de l’éco-lucidité.

Si la perspective d’un projet profitant à tou.te.s attise toujours de la critique, c’est que le problème est au niveau communicationnel et publicitaire. Peut-être qu’après tout, convaincre est déjà un souhait trop beau pour être réalisé. Dans un monde idéal, tout le monde serait d’accord sur le fait que la crise climatique est une priorité. L’éco-anxiété ne devrait pas être un concept méconnu, mais plutôt un symptôme généralisé menant à des actions politiques concrètes. En attendant que l’impossible devienne possible, je préfère moi aussi faire le déni de cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, en la plongeant six pieds sous terre.

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