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Sports et bien-être

L’écoanxiété : qui blâmer ?

Hai Huong Le Vu
9 décembre 2023

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice Artistique et Jurgen Hoth — Photographe

Article rédigé par Hai Huong Le Vu — Journaliste

Tandis que l’été 2023 marquait la pire saison des incendies de forêt en l’histoire du Canada, le Collège des médecins du Québec diffusait les résultats d’une enquête portant sur l’écoanxiété le 27 juillet dernier. Selon les conclusions, 66 % des répondant.te.s ont déclaré en souffrir, avec une gravité moyenne atteignant le niveau quatre sur une échelle d’un à cinq.

L’écoanxiété, définie par ecoAmerica comme la « peur chronique d’une catastrophe environnementale imminente », n’est pas une maladie mentale « diagnostiquable » selon la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Anne-Sophie Gousse-Lessard, professeure en communication environnementale et en psychologie de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), révèle que la majorité de la population mondiale connaît une écoanxiété « modérée ».

Les facettes de l’écoanxiété

Gousse-Lessard identifie les changements climatiques, les médias et la parentalité comme sources principales de l’anxiété environnementale. Elle est alertée par le fait que les médias n’abordent pas les changements climatiques d’une manière « équilibrée », et mettent uniquement l’accent sur ses effets « négatifs ». La troisième cause, selon elle, consiste en l’inquiétude vis-à-vis du futur, notamment des parents en relation avec l’avenir de leurs enfants, ou des individus questionnant leur désir de parentalité, en considération des enjeux environnementaux.

« Chaque personne vit son écoanxiété différemment », avance la professeure. Les symptômes communs sont la peur, la nervosité, des pensées constantes liées aux changements climatiques, énumère Gousse-Lessard. Elle poursuit en évoquant la difficulté à dormir, une perte d’appétit et des problèmes de concentration. La CSMC ajoute d’autres caractéristiques telles que la culpabilité concernant son empreinte carbone.

Adam Oliver Brown, docteur et professeur de biologie à l’Université d’Ottawa (U d’O), explique que l’écoanxiété « est très commune chez les jeunes, parce que ce n’est pas un problème qu’ils ont créé, mais c’est un problème dont ils vont souffrir ». Antonin Yameogo, étudiant en troisième année en communication et en sociologie, témoigne qu’il s’agit d’une « réalité qui fatigue parce qu’on ne voit pas forcément les résultats du jour au lendemain. »

L’accroissement du sentiment d’impuissance

Gousse-Lessard identifie également l’inaction des générations précédentes vis-à-vis de cet enjeu comme facteur d’anxiété environnementale chez les jeunes. L’écoanxiété a des racines systémiques, témoigne-t-elle. Elle aborde l’abandon des efforts du gouvernement : « C’est vraiment le manque de réaction de politique publique à la hauteur de l’urgence d’agir. » Face à cette situation, Brown constate que la jeunesse se sent « impuissante ».

Lorsque les écoactivistes font des efforts pour lutter contre les changements climatiques, les dirigeant.e.s ne les soutiennent pas, regrette le professeur de biologie. Shana Quesnel, co-présidente de Justice climatique à l’U d’O, affirme que : « Nos voix [celles des activistes climatiques] tombent dans l’oreille d’un sourd [les grandes firmes], celui qui produit le plus d’émissions ».

Docteur Brown signale aussi que les grandes sociétés représentent une autre source d’écoanxiété. « Pour tenter de se libérer de la responsabilité de la pollution, elles [les entreprises pétrolières] vont dire aux citoyens : “vous pouvez faire une différence, vous devriez recycler, vous pourriez acheter une auto électrique” » développe-t-il. Cette stratégie, selon lui, permet aux grandes entreprises de convaincre le public qu’il est la cause du problème et de s’éviter de porter le fardeau de responsabilité qui leur incombe.

Comment remédier à l’écoanxiété ?

Gousse-Lessard souligne l’importance de briser l’isolement : elle recommande de chercher le soutien émotionnel des proches, des ami.e.s, voire des enseignant.e.s, afin de se soulager de cette anxiété. Elle poursuit en proposant la création d’espaces dans les établissements scolaires et universitaires où les étudiant.e.s peuvent exprimer leurs inquiétudes liées à l’environnement aux professeur.e.s.

Les enseignant.e.s, selon Gousse-Lessard, peuvent aussi initier plus de discussions et de projets liés à la durabilité et à la préservation de l’environnement. Elle justifie que ces initiatives permettent aux étudiant.e.s de mieux gérer leur écoanxiété. Elle croit en la possibilité que les établissements éducatifs, de cette manière, peuvent transformer les préoccupations environnementales des jeunes en actions positives pour leur société.

Brown suggère de rejoindre des manifestations environnementales. Ces dernières, qu’il qualifie comme « un rassemblement d’esprits », donnent un effet de réconfort à ses participant.e.s, notamment à ceux.celles qui connaissent l’anxiété environnementale. De la même façon, la professeure à l’UQAM pense que l’écoanxiété peut se transformer en moteur d’action, invitant les personnes qui en souffrent à se mobiliser davantage pour l’environnement.

Trois ans après la première publication de La Rotonde sur l’écoanxiété, il semble que cette dernière persiste toujours et même s’accentue. Comme l’indique Gousse-Lessard, l’écoanxiété est une « réaction normale, validée et justifiée face à la menace réelle ». Cette dernière ne semble pas encore prise adéquatement en compte par les personnalités au pouvoir.

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