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Arts et culture

Les aphorismes fatalistes d’Anne Archet

Nonibeau Gagnon-Thibeault
18 novembre 2022

Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Co-rédactrice en chef 

Critique rédigée par Nonibeau Gagnon-Thibeault – Journaliste

Anne Archet, une autrice anarchiste gatinoise qui écrit sous pseudonyme, est davantage connue pour sa littérature érotique. Or, elle publie pour la première fois un recueil d’aphorismes dont le thème est moins libidineux : le déclin civilisationnel qui commence à prendre place sous nos yeux. L’oeuvre, Le vide : mode d’emploi, aphorismes de la vie dans les ruines, est d’une lucidité et d’une originalité hors du commun, mais n’apporte que du désespoir à l’âme puisque l’autrice se résigne à accepter passivement le déclin de l’humanité.

« Le dernier optimiste que je connaissais vient d’être retrouvé mort noyé dans un verre d’eau à moitié plein. » Garde à celles et ceux qui croient au potentiel libérateur du savoir et de la technologie, Anne Archet va crever votre bulle et remettre en question l’entièreté de votre existence.

Accepter le début de la fin

Alors qu’un rapport récemment publié par l’ONU constate qu’il ne nous reste que trois ans avant que le réchauffement planétaire devienne irréversible, l’autrice québécoise considère que la lutte est déjà perdue. « Maintenant n’est pas trop tard. Trop tard, c’était il y a des années », ironise-t-elle.

« C’est le lot de toutes les civilisations dans l’histoire de s’effondrer, principalement à cause de pressions environnementales – la nôtre ne fera pas exception », affirme l’écrivaine web. « Notre problème, c’est que contrairement à Sumer, l’empire Khmer ou Inca, il n’y a plus de montagnes où fuir, de zones périphériques hors des empires où se réfugier ; la civilisation est à l’échelle du globe et sa chute entraîne celle du vivant, pas juste de notre espèce », ajoute la sceptique du progrès. C’est sur ce thème qu’Anne Archet tient des réflexions, surtout politiques, sous la forme d’aphorismes.

De longs aphorismes

Se définissant comme une créature du web, ce qui impose une forme courte à l’écriture, l’autrice n’écrit que de la poésie et des aphorismes. Celle qui écrit sur le web depuis les années 90 dit aussi écrire de manière concise par paresse. On peut toutefois douter de cela puisque certains de ses aphorismes font plus d’une page et demi. Est-ce que ce sont alors réellement des aphorismes ?

On peut y lire plus d’une centaine de pensées portant sur des sujets hétéroclites, comme la civilisation, la pornographie, ses vacances, le nihilisme et Normand Baillargeon. Concis, certains de ses propos anarchistes individualistes peuvent nous frapper comme une tonne de brique, mais toujours avec intelligence et lucidité. On n’y retrouve pas de raccourcis intellectuels ni de banalités. Ses phrases sont remplies de culture et nous sortent des clichés de la vie quotidienne.

C’est le genre de lecture qui peut nous réconforter, le soir, lorsque des pensées négatives nous envahissent. Dans un environnement où les problématiques de santé mentale fusent et où les sentiments de dégoût envers l’organisation de notre société sont réprimés, il y a quelque chose d’apaisant à lire ses aphorismes et à s’y retrouver.

Faut-il imaginer Anne Archet heureuse ?

Il faut souligner qu’Anne Archet ne s’épargne pas dans le lot de mépris et de remarques ironiques qu’elle énonce, à un point où on se sent mal pour elle. L’autrice se montre même critique de l’impact de ses œuvres. De toutes les œuvres, en fait. « Je ne crois pas au pouvoir subversif de la littérature, ce qui est selon moi la façon la moins efficace de ne rien changer », partage-t-elle.

Bien qu’elle n’ait peut-être pas tort d’avoir une vision pessimiste de l’humanité et qu’il est évident que nous assistons au début d’une érosion exponentielle de notre société, à quoi ressemblerait une vie dans laquelle nos actions joignent ces croyances ? « Commencer à penser, c’est commencer d’être miné », écrivait Camus dans Le Mythe de Sisyphe. Le philosophe absurde propose toutefois de créer le propre sens de sa vie et de la vivre activement, et non de se fondre dans le désespoir, même en sachant pertinemment la futilité de cette tâche existentielle.

Lorsqu’on lui demande ce qu’elle apprécie le plus de la vie, Anne Archet répond succinctement «un livre et une tasse de thé ». Ici s’ouvre la possibilité d’imaginer Anne Archet heureuse.

Brûler l’université

Ayant eu un parcours universitaire, Anne Archet est aujourd’hui divorcée de ce milieu et cherche à travailler le moins possible. Être intellectuel.le signifie tourner en rond dans le vide, selon elle. Son message à la communauté universitaire est simple : «Brûlez l’université pendant qu’il est encore temps».

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