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Éditorial

Les Jeux du génocide, de la défiance et de la débâcle écologique

Aïcha Ducharme Leblanc
14 février 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Un éditorial rédigé par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef

Les Jeux olympiques (JO) d’hiver de 2022 ont débuté la semaine dernière, le 4 février, à Pékin. Et ce, non sans heurts. Le pays hôte suscite la consternation et en laisse plusieurs se demander comment ce fameux régime autocratique a pu jouir d’un tel privilège. 

André Laliberté, professeur titulaire à l’École de sciences politiques de l’Université d’Ottawa (U d’O), se spécialise en politique comparée et sur la vie politique en Asie. Laliberté rappelle que « les JO sont toujours controversés quand ils sont donnés dans un régime autoritaire ». Il cite les exemples des JO au Mexique en 1968, en Russie en 1980 et en 2014, et en Corée du Sud en 1988.

Cependant, la différence pour la Chine réside dans le fait que le pays avait déjà accueilli les Jeux il n’y a pas si longtemps, en 2008. Pour beaucoup, comme le remarque Laliberté, l’octroi des jeux à Pékin en 2008 était dans l’espoir que le pays « s’ouvre au reste du monde ». Or, tout le contraire s’est produit.

Nation méfiante

Pourquoi un pays provocateur, voire cachotier, est-il récompensé en se voyant confier l’accueil de cet événement sportif incontournable ?

La Chine est un État orwellien, un surveillant sans pitié, qui agit à son gré. Son dossier de violations des droits humains est effectivement stupéfiant. Le génocide des Ouïghours. La disparition de Peng Shuai. L’enlèvement injustifié des deux Michaels. La violence généralisée contre les manifestant.e.s de Hong Kong. Les menaces continues d’invasion de Taiwan. Rappelez-vous, la Chine a signé la plupart des conventions de droits humains des Nations Unies.

Sans compter l’indifférence totale à l’égard de la pérennité de notre planète. Voilà un État qui s’est engagé à réduire ses émissions de carbone en signant l’accord de Paris en 2015, pour ensuite les augmenter en continuant de construire des centrales au charbon. L’hypocrisie est irréelle. Mais la Chine s’en moque. Sans parler des quantités énormes d’eau et d’énergie gaspillées pour fabriquer de la fausse neige ou des rivières polluées pour bâtir des installations olympiques. Avez-vous vu leur tremplin de ski d’hiver construit absurdement autour d’un paysage urbain hideux ?

Les organisateurs des JO de Pékin assurent que les canons à neige utilisés sont propulsés par des énergies renouvelables et ne nuiront pas à l’écosystème. Peut-on vraiment y croire ? Il s’agit du même pays qui, à l’insu du Canada, a arrêté deux de ses citoyens, hommes d’affaires innocents, et les a gardés en prison pendant des années.

Ces Jeux marquent une première. Une première où le président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, a eu à répondre à des questions sur la sécurité des athlètes qui oseraient exprimer des opinions politiques. À quel point cela semble absurde ?

Aucun.e athlète olympique ne peut exercer son droit à la liberté d’expression pendant les Jeux. Parce qu’ils.elles pourraient tout à coup manquer à l’appel. Parce qu’ils.elles peuvent être maltraité.e.s. Il suffit de constater les conditions inhumaines dans lesquelles sont déjà détenu.e.s les athlètes en isolement. Les autorités chinoises ont même pris la peine de proférer des menaces à l’encontre de ceux ou celles qui veulent exprimer une opinion.

Politisation du sport ?

La Chine n’est pas seule à être obsédée par la censure de la liberté d’expression. Le CIO s’est acharné à séparer politique et sport, exigeant des athlètes qu’ils.elles évitent de manifester leurs convictions politiques. Selon cette logique, les JO ne peuvent être un événement politique, ce que le professeur de l’U d’O qualifie de « grotesque » et « du plus bel exemple de cynisme ». 

La tenue des jeux représente un geste politique et la sélection du pays hôte est très géopolitique. En permettant à la Chine d’accueillir les JO, on ne fait que renforcer sa position économique et politique sur la scène internationale. 

Le président du CIO quant à lui rappelle, lors d’une conférence de presse tenue la semaine dernière, qu’il incombe à l’organisation de ne pas se mêler des affaires des États pour trancher des différends politiques. Selon lui, les JO existeraient seulement entre les pays aux mêmes idéologies si le CIO se prononçait sur des questions politiques. Selon le journaliste Yves Boisvert, la « neutralité » a un coût en l’occasion des JO 2022 : la complicité avec une dictature célèbre pour la violation perpétuelle des droits humains.

L’empire de Xi Jinping a voulu lui aussi dénoncer la politisation des Jeux et a accusé les pays occidentaux ayant boycotté diplomatiquement les JO, d’avoir dérogé à l’esprit sportif des JO en se livrant à des « manœuvres politiques ». Ce pays revendique le fait que les jeux ne sont pas une question politique, mais elle a également désigné Dinigeer Yilamujiang, un musulman ouïgour, comme l’un des porteurs de flambeau lors des cérémonies d’ouverture. Pas politique ? Le symbolisme et le sens politique sont impossibles à ignorer. Yilamujiang avait-il même le moindre choix en la matière ? Sûrement pas. 

Canada en action

Il est évidemment trop tard pour retirer les Jeux à la Chine. Cependant, un moment marquant de ces épreuves olympiques a été la résistance ainsi que les gestes politiques posés par certains pays dont le Canada. En effet, celui-ci s’est joint à un ensemble de pays occidentaux comptant les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Lituanie, et le Japon qui ont refusé d’envoyer des représentant.e.s politiques à Pékin. Un boycott diplomatique. 

Malgré que ce soit un « geste symbolique », relève Laliberté, « au regard de l’histoire […] on va s’en souvenir qu’il y avait des gens qui se sont tenus du côté [des citoyen.ne.s chinois.e.s victimes du régime] ». De toute évidence, il est possible d’en faire plus. Pourquoi le Canada n’a-t-il pas procédé à un boycott complet des JO s’il tient les droits humains en si haute estime ? Est-ce qu’il va limiter ses affaires commerciales avec la Chine ?

Nous devons reconnaître que ce boycott constitue une critique claire du gouvernement chinois par le gouvernement canadien. Celui-ci a déjà fermé les yeux à plusieurs reprises devant les atrocités commises par les autorités chinoises, leur donnant carte blanche pour assurer la prospérité économique. Cette fois-ci, le Canada n’est plus timide, il défend des valeurs universelles concernant les droits de la personne et c’est quelque chose qui se doit d’être souligné.

Ce geste a également une portée car selon Laliberté, les relations sino-canadiennes ne peuvent pas être pires qu’elles le sont actuellement depuis l’affaire Meng Wanzhou. Serait-ce le signe d’une remise en cause des approches envers la Chine par le Canada et des des autres pays boycotteurs qui croient aux mêmes valeurs démocratiques ? Nous l’espérons.

Une éthique fondamentale doit intervenir plus tôt la prochaine fois. Dans sa chronique, Boisvert demande « tiendrait-on les JO dans un Afghanistan dirigé par des talibans ? ». Certainement pas. Il devrait en être de même pour la Chine totalitaire de Xi Jinping.

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