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Liberté d’expression ou non, le débat continue

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5 avril 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Miléna Frachebois – Cheffe du pupitre Actualités 

C’est durant le mois de mars qu’Amir Attaran, professeur de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa (U d’O), a partagé sur Twitter une série de commentaires à l’encontre de la province du Québec et de son gouvernement. Ces publications ont entraîné de vives réactions au sein et au-delà de l’établissement. Si des mesures ont été prises pour tenter d’atténuer les tensions, la polémique, elle, persiste. 

Attaran explique d’emblée que ce ne sont pas les Québecois.e.s qu’il visait par ses tweets, mais plutôt les politiques structurelles de la province. Faisant notamment référence au système de santé, il appuie ses propos en rappelant le décès de Joyce Echaquan en septembre dernier. D’après le professeur, les abus racistes visant l’identité atikamekw de la jeune femme sont la cause de sa disparition, et font état « de sérieux problèmes [avec qui] personne ne peut être en désaccord. » 

En prenant pour exemple une annonce réalisée par l’hôpital Saint-Eustache, qui présentait dix offres d’emploi pour « femmes blanches seulement », le professeur dénonce ce qu’il qualifie comme étant « la suprématie blanche du système ». Il juge illégal, immoral, et abject que des personnes racisées soient exclues d’office par cette annonce. 

Affaire politique

Il mentionne également que François Legault, Premier ministre du Québec, nie l’existence du racisme systémique, et considère cette prise de position comme « raciste et problématique », soutenant que « Legault est un suprémaciste blanc pour refuser de reconnaître que c’est [là un problème qui existe] partout autour de nous ».

S’il admet recevoir du soutien, y compris du Québec, Attaran reconnaît que beaucoup sont en colère contre lui et confie recevoir de nombreux messages de haine. Indifférent face à ces réactions, il affirme ne pas comprendre pourquoi il devrait se justifier : « Ils.Elles doivent me dire pourquoi ils.elles sont en colère […]. Si ils.elles le sont pour être [membres de] la seule province qui ne reconnaît pas le racisme systémique… tant pis ».

Ces propos ont cependant pris une ampleur politique extérieure à l’U d’O. Le 19 mars dernier, Paul St-Pierre Plamondon, Chef du Parti Québecois, envoyait une lettre au Recteur et Vice-chancelier de l’Université, Jacques Frémont, faisant part de « récriminations à l’égard d’un professeur de l’Université d’Ottawa ». Ce dernier y a répondu deux jours plus tard, en réitérant la dissociation de l’établissement face au discours du professeur. Le premier ministre canadien Justin Trudeau s’est aussi prononcé sur l’affaire, et a dénoncé les propos qu’a tenus Attaran, les qualifiant de « Québec Bashing ». 

Gestion fragile 

Par l’entremise d’un communiqué de presse publié le 18 mars 2021, l’Université s’est dissociée des propos exprimés par le professeur. Cette position sera réitérée sur Twitter par Marie-Eve Sylvestre, la Doyenne de la Faculté, Section de droit civil, qui a condamné le discours d’Attaran.

Le 30 mars dernier, l’Association des professeur.e.s à temps partiel de l’Université d’Ottawa (APTPUO) s’est cependant prononcée dans une déclaration, mettant en parallèle le traitement d’Attaran et celui de leur collègue Lieutenant-Duval. Elle soutient alors que cette « controverse n’est que le dernier échec de [l’] administration [de Frémont]».

Douze jours plus tard, l’établissement a annoncé la mise en place d’un Comité visant à concilier les enjeux relatifs à la liberté académique sous la direction de l’ancien juge de la Cour suprême du Canada, l’honorable Michel Bastarache. Maxime Prévost, directeur et professeur au Département de français à l’U d’O se dit d’ailleurs sceptique face à la nouvelle et avoue avoir du mal à s’imaginer comment et pourquoi un juge à la retraite viendrait aider l’U d’O à définir les paramètres de la liberté universitaire.

Reflet de crise

Prévost affirme que cette crise n’est pas apparue du jour au lendemain. En effet, c’est l’affaire Lieutenant-Duval qui aurait selon lui mené à cela, demeurant une « plaie béante » à l’Université. Attaran et Prévost s’entendent d’ailleurs sur l’importance de différencier les deux affaires.

Attaran explique que l’incident dans le cours de Lieutenant-Duval s’est passé au sein même de l’institution, tandis que son compte Twitter est public. Prévost poursuit en soulignant que les deux cas traitent de deux problèmes différents : l’un de la liberté universitaire, l’autre de la liberté d’expression, et ajoute que les deux doivent cependant être défendues vigoureusement. Le professeur de droit souligne d’ailleurs que la liberté d’expression existe pour plusieurs raisons, incluant la dénonciation du racisme au Canada en 2021, et que les réactions négatives sont simplement « ignorantes ».

Le problème vient du fait que l’U d’O n’ait aucune crédibilité sur de telles questions à cause de son « traitement injuste » de la professeure Lieutenant-Duval, accorde Prévost. Aucune mesure ne devrait donc être prise contre Attaran, mais il souhaiterait voir l’U d’O s’excuser auprès de la professeure pour rétablir sa réputation. Il déplore aussi la gestion des relations publiques de l’établissement face à la crise.

Bien que les propos d’un « provocateur isolé importent peu », le directeur du Département de français est affligé de voir le tournant que prend la discussion. D’après lui, la mise en place de l’enquête indépendante réclamée par l’APTPUO, et la professeure elle-même est un premier pas essentiel pour apaiser les tensions.

Pour Prévost, tant que l’administration n’aura pas été absolument transparente dans l’affaire Lieutenant-Duval, l’Université devra faire face à des scandales qui s’enchaîneront les uns après les autres. Attaran souligne néanmoins la fragilité d’un tel discours, appuyant que le droit constitutionnel est déjà clair sur la question de la liberté d’expression.

L’Université d’Ottawa a décliné notre demande d’entretien, invoquant la réponse du recteur.

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