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Éditorial

Libres dans nos choix, jusqu’à une certaine limite ?

Rédaction
13 octobre 2020

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Par Caroline Fabre – Rédactrice en chef

Mourra ? Mourra pas ? Que ce soit au Québec, avec les cas des malades Nicole Gladu et Jean Truchon, en France, avec Vincent Lambert, ou en Belgique, avec Tine Nys, la question de l’aide médicale à mourir pose un véritable débat dans notre société occidentale. Si nous sommes libres de vivre nos vies, pourquoi ne sommes-nous pas libres de choisir notre mort ?

Le 5 octobre dernier, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti, proposait au Parlement des modifications sur la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir (AMM). Cette dernière, définie par le Ministère de la Justice, « désigne la situation où une personne cherche et obtient l’aide d’un médecin pour mettre fin à sa vie. » Légalisée en juin 2016, au terme de longues années de débats, elle a depuis concerné près de 13 000 Canadien.ne.s. 

Le débat qui a eu lieu à la Chambre des communes devait proposer « une réponse législative à la décision Truchon et Gladu de la Cour supérieure du Québec, selon laquelle il est inconstitutionnel de limiter l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort est raisonnablement prévisible ». La Cour supérieure du Québec a déjà accepté à deux reprises, en mars et en juin, des prorogations concernant le critère d’admissibilité d’une « mort naturelle raisonnablement prévisible » invalidé en septembre 2019, la repoussant au 18 décembre prochain.

À croire que les prises de décisions ne sont pas le point fort du pays, qui nous a déjà fait défaut lors des audiences qui se sont tenues à la Cour suprême du Canada en septembre dernier, à propos de la taxe carbone. Or, si le gouvernement bénéficie de tout le temps dont il désire pour prendre des décisions, ce n’est pas le cas des centaines de Canadien.ne.s qui attendent, parfois dans des souffrances insoutenables, de se voir libéré.e.s de la maladie via l’AMM.

Trois pas en avant

Cet élargissement des critères d’admissibilité à la AMM comprend plusieurs points forts, dont l’élimination des dix jours imposés avant la mise en place de la procédure, et ce malgré l’approbation à tous les niveaux de la demande. Pourquoi attendre dix jours lorsque le feu vert a déjà été donné ? Au cas où la personne changerait d’avis ? Quelles sont les probabilités qu’un.e malade qui se sait condamné.e à la souffrance recule sur sa décision ? Elles sont sûrement assez minces. 

Ottawa prévoit également de supprimer la règle qui stipule qu’une personne doit être en mesure de donner son consentement une deuxième fois immédiatement avant de recevoir l’AMM. Même raisonnement qu’au-dessus, surtout que son état peut s’être largement dégradé entre-temps. Conserver cette règle, c’est obliger une personne à vivre dans la souffrance, et ce généralement jusqu’à la fin de sa vie. De plus, nous ne parlons pas du parfum d’une boule de glace, ou de la couleur de son vernis à ongle, mais bien d’une décision qui a été déjà mûrement réfléchie. 

Enfin, tel que le rapporte Joan Bryden, le gouvernement soutien que « cela réduirait également le nombre de témoins nécessaires à un plutôt que deux. » Parfait, deux, ça ressemblait un peu trop à un mariage à notre goût.

…Deux pas en arrière 

Mais forcément, qui dit élargissement dit aussi réduction ailleurs. La ministre Qualtrough a indiqué que «  l’aide médicale à mourir relève des droits de la personne […] et que le projet de loi reconnaît les droits de tous à l’autonomie personnelle ainsi que la valeur inhérente et l’égalité de chaque vie humaine  ». 

Alors pourquoi le gouvernement fédéral interdit-il l’AMM lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale ? Ils sont bien beaux, les discours sur l’importance de prendre soin de soi, de parler à ses proches, à des professionnel.le.s. Mais concrètement, cette décision prouve que les maladies mentales ne sont pas reconnues comme des maladies en tant que telles. Comme des maladies sérieuses. Un peu ironique quand « un Canadien.ne sur cinq sera personnellement touché.e par la maladie mentale au cours de sa vie », selon les statistiques de la Fondation Douglas. Et cette proposition n’est pas utopique; en Belgique, la souffrance mentale d’une personne est reconnue comme une maladie pouvant autoriser une aide médicale à la mort. 

Une autre problématique se pose également pour les personnes « qui [ne sont] pas aussi proches de la mort [et feraient] face à de plus grands obstacles, dont au moins 90 jours d’attente. » Pourtant, une personne en fin de vie ne souffre pas nécessairement plus qu’une personne moins proche de la mort. 

Importance du choix

Attention, nous ne cherchons pas ici à légitimer la pratique de l’eugénisme, mais simplement à donner le choix à certaines personnes qui n’ont plus d’espoir, sont en souffrance, et souhaitent en finir au plus vite. Selon le « premier rapport annuel de Santé Canada sur l’aide médicale à mourir au Canada, publié en juillet dernier […] en 2019, l’aide médicale à mourir a représenté 2 % des décès au Canada. »

Non, ces modifications sur la loi canadienne sur l’AMM ne sont pas des portes ouvertes aux procédures de masse, mais bien à la notion fondamentale du choix. Comment décider si une personne peut bénéficier, ou non, de l’AMM si nous ne vivons pas quotidiennement sa souffrance ? Qui mieux que soi-même pour savoir quand a lieu le moment charnière où la mort est la plus douce des options ?

Choisir de bénéficier de l’AMM, c’est pouvoir choisir quand, et comment partir, et dans quelles conditions. C’est avoir la possibilité d’être entouré.e de ses proches une dernière fois, de célébrer sa vie, et de partir en toute dignité. 

Si le Canada se vante de collaborer «  avec les autres acteurs du système humanitaire mondial afin de sauver des vies, d’alléger la souffrance et de préserver la dignité des populations touchées par les crises », il conviendrait de montrer l’exemple en appliquant lui-même ces recommandations à son territoire. 

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