Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Lumière sur le monde des drag queens : Jason Pelletier raconte Jezebel Bardot

Johan Savoy
21 octobre 2021

Crédit visuel : Courtoisie – David Hawe

Entrevue réalisée par Johan Savoy – Journaliste

Québécois d’origine et Torontois d’adoption, Jason Pelletier raconte l’histoire de Jezebel Bardot, son personnage drag queen. Il se livre sur son parcours, les activités auxquelles il s’adonne et la manière dont il vit sa francophonie dans l’environnement drag ontarien.

La Rotonde (LR) : Quel a été votre parcours jusqu’à aujourd’hui, de votre enfance au Québec à votre vie torontoise actuelle ?

Jason Pelletier (JP) : Je m’appelle Jason Pelletier et j’ai 34 ans. Je suis originaire de Mont-Laurier au Québec, mais j’ai été élevé dans la région de Barrie. Mes parents étaient dans les Forces armées canadiennes et j’ai ainsi vécu presque toute ma vie en Ontario.

Je suis allé à l’Université de Sudbury où j’ai étudié la psychologie du sport après avoir obtenu mon baccalauréat en éducation. J’ai ensuite été enseignant d’éducation physique avant de devenir directeur adjoint [de l’école]. Enfin, je suis aujourd’hui conseiller pédagogique en école bienveillante, sécuritaire et inclusive pour un conseil francophone catholique en Ontario. 

Madame Bardot est arrivée dans le paysage lorsque j’ai déménagé à Toronto, mais il s’est passé un peu de temps avant que je ne commence à bâtir ce personnage et que j’investisse la scène du drag. J’ai toujours été admirateur de ce monde et j’ai finalement décidé de me lancer en 2015. J’évolue à présent avec ce personnage qui m’a offert diverses opportunités et qui apporte beaucoup de plaisir aux gens.

LR : Comment est né le personnage de Jezebel Bardot ? 

JP : J’ai commencé à faire du drag avec les ligues de sport en Ontario. Je me suis joint à une ligue de volleyball LGBTQ+ lorsque je suis arrivé à Toronto, et nous faisions beaucoup de soirées de type banquet avec des drag queens. Les équipes des grosses villes environnantes telles que New York, Boston et Montréal participaient et, un soir, j’ai décidé de faire un spectacle aux saveurs de Joan Rivers, la comédienne américaine que j’adore. Ma prestation a eu un grand succès, et c’est à ce moment-là que j’ai saisi le pouvoir du drag pour faire rire les gens. 

Mon spectacle a été filmé et vu par les patron.ne.s de plusieurs bars et boîtes de nuit, et notamment celui du Woody’s, qui m’a ensuite sollicité pour venir danser. J’ai refusé, avant de finalement accepter et je suis, depuis ce jour, au Woody’s tous les dimanches. 

LR : Avez-vous construit ce personnage seulement pour la scène ou est-ce un style de vie à part entière ?

JP : Le concept d’identité rattaché au drag est beaucoup plus présent aujourd’hui qu’il ne l’était avant. Madame Bardot et Jason sont deux personnes complètement différentes. J’aime apporter du plaisir aux gens, mais ce n’est pas quelque chose qui reste avec moi toute la journée. Jason est d’ailleurs quelqu’un d’introverti alors que Jezebel est le véhicule que j’utilise pour être quelqu’un de plus extraverti. 

Aujourd’hui, énormément de gens rattachent leur identité à leur personnage de drag et ne définissent pas une ligne nette entre les deux. Personnellement, j’ai fait le choix contraire. Ceci s’explique par ce que j’ai vécu dans le passé lorsque j’étais gymnaste. J’ai pratiqué ce sport de 6 à 26 ans à haut niveau et cela occupait une place tellement importante dans ma vie que les gens ne me parlaient jamais sans évoquer la gymnastique. Une blessure est finalement survenue, mettant ainsi fin à ma carrière, et cela m’a affecté non seulement sur le plan sportif, mais aussi sur le plan personnel. 

Suite à cette mauvaise expérience, je ne voulais pas reproduire la même erreur avec mon personnage de drag, j’ai donc fait le choix de séparer les deux.  

LR : Quelles activités pratiquez-vous dans le cadre du divertissement et plus généralement au quotidien ?

JP : Je me produis minimum trois jours par semaine à côté de mon travail à temps plein en éducation. Je suis à El Convento Rico, un club latino-torontois tous les vendredis et samedis où je suis d’ailleurs la house queen. Je donne un spectacle de type cabaret le dimanche de 18 h à 21 h au Woody’s et j’ai plusieurs autres spectacles occasionnels.

Je suis également investi dans les ligues sportives, j’aide les associations des policier.e.s LGBTQ+ à travers la province et je suis très engagé au niveau de l’inclusivité au sein de divers syndicats, entreprises et institutions publiques.

LR : Le monde du drag présente-t-il des différences entre les provinces du Québec et de l’Ontario sur le plan stylistique ? 

JP : Oui, il y a une vraie différence de style entre les deux provinces. Au Québec, nous sommes dans le genre cabaret, théâtre. Les gens arrivent, s’assoient à de petites tables rondes et s’attendent à voir un véritable spectacle. C’est aussi totalement différent pour nous puisque les établissements sont, pour la plupart, équipés de loges permanentes où nous pouvons laisser nos costumes et nous maquiller.

En Ontario, et notamment à Toronto, le monde drag est plus dans le registre night life. Les spectacles se déroulent davantage dans les bars et dans les clubs où les gens viennent pour danser. Nous faisons nos spectacles au cours des soirées, mais les établissements ne mettent pas de loges à notre disposition.

Pour résumer, je dirais qu’au Québec, les drag queens sont des personnages de comédie tandis qu’en Ontario, la plupart étaient danseurs et athlètes auparavant et produisent des prestations plus axées sur la danse.

LR : Habitant la ville de Toronto, comment vivez-vous la francophonie en Ontario et dans le monde drag ?

JP : J’ai toujours été un fier Québécois et même si j’ai déménagé très jeune en Ontario, j’ai complété mes études dans les écoles francophones. Je suis fier de ma langue, j’aime la musique francophone et j’affectionne particulièrement les lectures en français.

Concernant le monde drag, la scène était particulièrement saturée lorsque je suis arrivé à Toronto et beaucoup de drag queens se ressemblaient. Ma drag mom m’a alors conseillé de conserver mon identité francophone et de rester fier de ma langue française, tout en me faisant remarquer que j’étais unique à Toronto. Je me suis donc trouvé un nom de scène aux résonances françaises, et cela a probablement été la clé du succès. 

Je remarque d’ailleurs que même les anglophones sont francophiles puisque dans les spectacles où je reproduis Céline Dion ou encore Édith Piaf, ils.elles reconnaissent la musique et la voix et apprécient vraiment les spectacles.

Finalement, j’essaye de conserver au moins une chanson en français lorsque je me produis et c’est souvent celle qui crée le plus d’engouement.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire