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L’université : un monde d’hommes ?

Mabinty Toure
15 mars 2023

Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Rédactrice en chef 

Article rédigé par Mabinty Touré — Journaliste

Le 2 mars dernier, Stéphanie Gaudet, professeure titulaire à l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa (l’U d’O), a présenté sa recherche « Les femmes et les pratiques du care dans les universités canadiennes » au public universitaire. S’inscrivant également dans le Mois de l’histoire des femmes, la professeure ouvre la discussion autour des conditions de santé des femmes dans le milieu académique.

Situation oubliée

L’événement, qui s’est tenu à la Faculté des sciences sociales, était divisé en deux parties. La première moitié consistait en une exposition des travaux de la conférencière, et la seconde moitié était une discussion avec les participant.e.s, animée par Magalie Civil, étudiante au doctorat en sociologie à l’U d’O.

Pour introduire la réflexion, la chercheuse a expliqué les motivations derrière sa recherche. Dès le début de sa carrière dans le milieu académique, elle a rapidement observé qu’elle était dans un domaine assez masculin. Son expérience personnelle révèle que plusieurs femmes se heurtent à des difficultés pour concilier le travail et la famille, ainsi qu’à des problèmes de santé.

En raison de son expertise en méthodologie sociologique, deux collègues lui ont proposé de participer à une recherche collaborative sur la santé des femmes en milieu universitaire. Malgré « la féminisation de la profession universitaire », énonce Gaudet, il existe encore de grandes disparités de genre dans les domaines des sciences naturelles, du génie, et bien d’autres. Pour les chercheuses, le concept du care est une lentille qui englobe toutes les activités de maintien de la vie humaine ou non humaine.

Impacts d’une culture androcentrée

La sociologue dénonce plusieurs raisons derrière les inégalités de genre dans le monde universitaire. L’une d’entre elles est l’androcentrisme de la culture, c’est-à-dire qu’elle est centrée sur le point de vue des hommes. Selon elle, l’image typique d’un professeur universitaire est celle d’un homme hétérosexuel ayant une partenaire à la maison. La recherche démontre que l’université promeut une culture « de la surcharge de travail », ainsi que des valeurs de méritocratie, ce que l’on remarque à travers les primes à la performance distribuée dans les universités de recherche.

Elle indique également qu’il existe aussi une économie de prestige à l’université, qui s’incarne dans la recherche. Ce prestige est valorisé en fonction de différents indicateurs, comme l’obtention de subventions de recherches, la réputation internationale, la mobilité, etc. La division du travail va donc s’effectuer en fonction de cette économie.

Les femmes sont davantage susceptibles de réaliser les tâches administratives, par exemple organiser des conférences et régler les problèmes des étudiant.e.s de premier cycle. Elle ajoute que dans les enquêtes statistiques canadiennes montrent que les femmes obtiennent leur permanence trois à quatre ans après les hommes, car elles ont été retardées par ce type de travaux. Ce travail académique s’intitule aussi travail ménager, ou « academic housework ».

Problèmes de santé cachés

Les professeures de la recherche constatent que les étudiant.e.s ont beaucoup plus d’attentes par rapport au travail des professeures femmes que des professeurs hommes. Gaudet discute du fait que les étudiant.e.s « demandent davantage de révisions de notes et se plaignent davantage » lorsque la professeure est une femme, ce qui a un impact sur la qualité de l’enseignement. En discutant avec les 22 participantes, la professeure remarque qu’elles maintiennent un amour pour l’enseignement, pourtant, cette valeur n’est pas reconnue dans leur travail.

À travers sa recherche, elle établit que les femmes ont souvent des problèmes de santé cachés. La maternité représente un grand enjeu pour les professeures : beaucoup d’entre elles ne prennent pas de congés de maladie lorsqu’elles font des traitements pour la fertilité ou qu’elles traversent des fausses couches. Une des participantes à la recherche mentionne avoir eu une pneumonie, et malgré avoir eu l’autorisation de son directeur de département pour prendre un congé, elle a refusé en raison des normes de performance.

Limites et ouverture 

Pour conclure son exposé, Gaudet admet qu’il faut reconnaître l’importance des pratiques de soin, administrées majoritairement par les femmes dans les universités. Cette reconnaissance permettra ensuite de mieux les partager entre les différent.e.s professeur.e.s.

À la fin de la présentation, Civil fait remarquer que la recherche n’a pas pris en compte l’angle de l’intersectionnalité, qui aurait pu mettre en avant la situation particulière des professeures racisées. Elle avance également que toute inégalité s’accompagne de privilèges, qui dans ce cas-ci avantagent les hommes.

Lydie C. Belporo, doctorante à l’école de criminologie de l’Université de Montréal et codirectrice du Réseau International des Femmes Doctorantes et docteures (RIFDOC) ouvre la réflexion vers des façons de changer les choses pour les femmes au sein du milieu académique. Elle propose que, dans une « logique d’excellence inclusive », le mentorat devrait faire partie des critères d’embauche de tou.te.s les professeurs.e.s.

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