Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Quelle « ligne » a franchi Qc Scoop ?

Emmanuelle Gauvreau
3 décembre 2023

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice artistique

Article rédigé par Emmanuelle Gauvreau — Cheffe du pupitre Arts et culture

En début novembre, le média à potins Qc Scoop publiait une photo de la créatrice de contenu et chanteuse Rafaëlle Roy en détresse à l’hôpital, en plus d’énoncer de fausses informations sur son état. Une série de dénonciations publiques sur les approches jugées non éthiques de Qc Scoop ont depuis soulevé des questionnements quant à une « ligne » à ne pas franchir par ce type de plateforme, qui est dépendante d’un public. 

Rafaëlle Roy a rapidement précisé sur une publication Instagram que : « Je suis allée à l’hôpital accompagné de policiers parce que j’ai demandé de l’aide. Parce que je souffre en silence depuis longtemps. Parce que j’avais besoin de secours à ce moment-là. » Contrairement aux propos énoncés par Qc Scoop, cette dernière n’était « ni sur l’influence de l’alcool ni sur l’influence d’une drogue quelconque », précise-t-elle.

Suite au tollé face à Qc Scoop, le média à potins fondé par Simon Waddell a publiquement fait ses excuses. « La ligne entre ce qui mérite ou non d’être mis en ligne est parfois très mince, mais cette fois-ci c’était de trop », peut-on lire sur leur publication.

Ce lundi 27 novembre, Lysandre Nadeau, Rafaëlle Roy, Jessica Roux, Fuso et Milyadie ont relancé un appel de boycottage de ladite plateforme n’ayant pas cessé ses activités depuis. « S’il vous plaît, cessez d’encourager ce genre de personne et ce genre de contenu. Unissons-nous pour évoluer ensemble en tant que société vers la bienveillance », peut-on notamment lire sur la publication.

Des approches jugées non éthiques

Selon Marc-François Bernier, expert en éthique de journalisme et professeur à l’Université d’Ottawa, deux questions sont à se poser à savoir si une « ligne » est franchie, afin de respecter la déontologie journalistique. « La première, c’est à savoir si les gens ont un intérêt légitime à connaître cette information-là », souligne Bernier. La deuxième c’est de se demander si « l’information est vraie et si elle a été vérifiée », énonce-t-il.

Pour Marie Gagné, créatrice de contenu et amie de Rafaëlle Roy s’étant publiquement positionnée contre la démarche de Qc Scoop, la ligne est franchie « quand on parle de la vie de quelqu’un » à des fins « sensationnalistes », explique-t-elle à La Rotonde. « Là, on parle quand même de santé mentale, du suicide », soulève-t-elle.

Les médias à potins peuvent parfois être utilisés de manières bénéfiques, et à partir d’ententes mutuelles avec des gens « qui cherchent une façon de faire mousser leur carrière », rappelle Bernier. Gagné explique que Qc Scoop emploie des approches qu’elle juge « toxiques », « zéro éthiques » et « mal intentionnées », à des fins de soutirer de l’information de certaines personnalités publiques.

« Je ne le connais pas personnellement [Waddell] », clarifie Gagné, « mais de tout ce que j’entends, de mes collègues de travail ou de mes amis, c’est arrivé à plusieurs reprises qu’il y [ait] eu des genres de menaces en messages privés, voulant dire “J’ai cette information sur toi, je te donne 24 heures, puis je vais annoncer la nouvelle, ou des trucs comme ça… ». Elle donne pour exemple le cas de Lysandre Nadeau, l’une des signataires de la missive du 27 novembre.

Gagné est elle-même créatrice de contenu et explique connaître l’impact que la diffusion d’informations privées peut avoir sur la santé mentale. En 2020, cette dernière vivait une rupture amoureuse publique « mouvementée », qui avait été très « médiatisée ». « Ça m’a tellement détruite. Ça a été le plus bas de ma santé mentale de toute ma vie. Je pensais changer de carrière », se confie-t-elle.

Si Gagné remarque que les comportements de Qc Scoop sont critiqués depuis longtemps, elle croit que l’histoire de Roy a été « la goutte qui a fait déborder le vase » pour qu’un mouvement de revendication plus large émerge.

Impact culturel des médias à potins 

Si ce type de média à potins peut avoir des impacts considérables sur la vie de certain.e.s, une question demeure : pourquoi existent-ils toujours ? Bernier explique que leur présence dans la culture populaire repose sur ce qui intéresse le public plutôt que sur l’intérêt public lui-même. Le premier mise sur la curiosité des gens et le second, sur ce qui sert à l’ensemble d’une population. « C’est une information qui porte, par exemple, sur le fonctionnement des institutions publiques, sur les dépenses publiques, sur la question civique ou sociétale », le décrit-il.

Bernier explique qu’il existe quelques corrélations entre la consommation des médias à potins et le fait que cela « soulage », voire « repose », certain.e.s consommateur.rice.s. « Ça peut leur montrer qu’ils.elles [personnalités publiques] ont beau être riches et célèbres, [mais que] ces gens-là ont des problèmes comme [tout le monde] ». Il continue : « J’appelle ça du journalisme de divertissement. »

Les médias reposent sur les publicitaires, rappelle-t-il : « S’ils ne font pas ça, à moins d’être subventionnés à 100 %, ils ne peuvent pas vivre. Ils ont besoin de publicité et les publicitaires ont besoin de public. Donc les deux s’entendent. » La survie des médias à potins, à l’image de Qc Scoop, semble donc être intrinsèquement lié à l’audience qui les soutient, soulignant ainsi la nécessité d’une réflexion sur l’impact que peuvent avoir les consommateur.ice.s.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire