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Comment être un homme au 21e siècle ?

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27 janvier 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Chronique rédigée par Aïcha Ducharme-Leblanc – Journaliste

Être un homme aujourd’hui, ça veut dire quoi ? Autrefois, la réponse à cette question pouvait sembler très simple, mais les hommes d’aujourd’hui sont bien différents de ceux d’antan. Selon moi, la masculinité est en train d’être radicalement redéfinie, mais la question qui me préoccupe est la suivante : en quoi et pourquoi doit-elle être retravaillée ? 

Je ne suis pas un homme, donc plusieurs personnes pourraient estimer que je ne suis pas qualifiée pour transmettre mes pensées sur le besoin d’expressions plus positives de la masculinité. Mais, en tant que féministe qui s’intéresse au genre et comment celui-ci structure nos vies, j’ai des choses à dire sur le sujet. Je me suis particulièrement penchée sur les travaux de la célèbre anthropologue féministe latino-américaine, Rita Segato, qui affirme que les hommes sont aussi des victimes du patriarcat, rongés par un certain « mandat de la masculinité » rigide et normatif. 

Modèle hégémonique en transition 

Le terme de « mandat de la masculinité » proposé par Segato est aussi connu sous le nom de « masculinité hégémonique ». Je définis cette forme de masculinité comme étant le modèle dominant symboliquement, et socialement, qui nous dit qu’être un homme, c’est être fort, pourvoyeur, courageux, invulnérable, et autres qualités similaires. Mais, lorsque ce modèle est poussé à l’extrême, ce sont l’agressivité, l’intrépidité, l’usage de la force, et la domination qui sont accentués. 

Ce sont bien les traces de ce modèle hégémonique exagéré qui m’inquiètent, même si je dois admettre que les choses changent pour les hommes de notre ère contemporaine. Pascal Gagné, doctorant à l’institut d’études féministes et de genre de l’Université d’Ottawa, a accepté de discuter avec moi de ce sujet. Mettant de côté les percées du féminisme, et les révolutions sociales telles que le mouvement #Moiaussi, il m’a montré que la transition de notre système économique capitaliste vers un capitalisme plus néolibéral a eu un impact important sur l’expression de genre des personnes.

Ce changement aurait, selon lui, incité les « individu.e.s à se conformer à de nouveaux modes d’existence, plus fluides, flexibles, et changeants ». Effectivement, aujourd’hui notre économie privilégie davantage le capital social que le travail brut, qui est communément associé à la masculinité traditionnelle, ajoute Gagné. Toutefois, cela ne signifie pas que cette dernière a disparu ou qu’elle n’est plus dangereuse. Je pense notamment aux partisans machistes de Trump, en majorité des hommes blancs, qui se sont illustrés par beaucoup d’actes violents ces dernières années. 

Se conformer à tout prix 

Nous vivons donc dans une société patriarcale et capitaliste qui nous transperce, que nous le voulions ou non. Cela signifie que nous avons tou.te.s intériorisé une série de normes et de pratiques normatives qui provoquent des inégalités. Par exemple, les hommes grandissent entourés de publicités sexualisantes, de pornographie, et de films hétéronormatifs dont le message est que leur succès dépend du salaire qu’ils gagnent, et du nombre de femmes qu’ils amènent dans leur lit.

Ainsi, ces normes et pratiques intériorisées s’observent lors de situations concrètes, dans lesquelles les hommes ressentent généralement la pression de devoir s’épanouir en tant que « vrai » homme. Il faut qu’ils adhèrent parfaitement aux attentes imposées, qu’ils soient toujours prêts à avoir des relations sexuelles, qu’ils s’engagent dans des situations dangereuses pour démontrer leur « courage », et qu’ils répriment leurs sentiments pour ne pas se montrer « faible ». 

Les hommes qui ne cadrent pas à ce modèle sont ridiculisés, exclus, punis sans pitié. Selon une étude de Statistique Canada réalisée en 2018, les hommes, femmes et personnes non-binaires de la communauté LGBTQ+ étaient trois fois plus susceptibles d’être agressé.e.s au Canada. De plus, il est commun de voir des hommes recevoir des insultes homophobes ou féminines. Comme le souligne Gagné, « la masculinité hégémonique va nécessairement brimer certaines formes d’expression alternatives qui ont dévié de la norme […]. Elle polarise et tire vers le centre ». 

Masculinités plurielles

J’ai déjà mentionné un changement de modèle de masculinité dû aux transformations que nous connaissons sur le plan économique. Aujourd’hui, pour reprendre les termes du doctorant, les masculinités dites « alternatives », comme trans et ou non-binaires, se confrontent à la masculinité « traditionnelle ». Par contre, avec la prolifération croissante de modèles alternatifs de masculinité, il est important de ne pas tomber dans une catégorisation trop poussée. À mon avis, nous ne voulons pas que de nouvelles boîtes nous différencient et nous aliènent. 

La fluidité et la pluralité sont donc à considérer. J’aime beaucoup la perspective que propose le travailleur social Hubert B. Boudreault  dans sa chronique intitulée Fini la masculinité unidimensionnelle !« Le concept général [de la masculinité] peut rester le même pour tout le monde. Mais on se rend vite compte que chaque personne a besoin d’un modèle différent, qui est adapté à sa situation, à ses besoins et à ses préférences. Alors, on se retrouve avec une grande variété de manières de vivre sa masculinité, ce qui permet à tout le monde d’y trouver son compte ». Selon lui, il n’est alors pas nécessaire de se conformer à un seul moule, mais chaque homme peut choisir ce qui lui convient.

Se questionner au quotidien

Je tiens à préciser que je ne diabolise pas ceux qui s’identifient à des aspects de la norme hégémonique de la masculinité, et ne leur demande en aucun cas de changer qui ils sont. La manière d’être un homme est profondément personnelle, et ce serait complètement contre-intuitif de ma part de juger quelqu’un pour qui il est.

Au contraire, lorsque j’ai demandé à Gagné comment revendiquer au quotidien des expressions positives de la masculinité, il a souligné l’importance de pratiquer une « éthique de la communication ». C’est-à-dire qu’il faut être vigilant sur la façon dont on interagit avec autrui, et qu’il est impératif de se réévaluer, et de s’interroger constamment sur les normes et les attentes quant à la masculinité qu’on véhicule dans notre discours. Comme il me l’a si bien expliqué, pour promouvoir l’acceptation de tou.te.s, il faut « faire preuve de gratitude envers tout un chacun et éviter les doubles standards » : il ne faut pas avoir peur d’expressions divergentes du genre. 

Finalement, ce n’est pas si important de redéfinir la masculinité ; celle-ci est déjà en pleine évolution et continuera à évoluer avec le temps. Néanmoins, ce qui est important, c’est d’accepter les différences, et d’apprendre à les valoriser. On s’oriente vers un monde qui s’ouvre aux masculinités divergentes, mais il reste beaucoup de travail à réaliser pour que la diversité soit entièrement respectée. 

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