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Manifestations
Éditorial

Revendiquer le droit de manifester, quelle ironie

Rédaction
6 novembre 2023

Crédit visuel : Slobo de Getty Images Signature

Éditorial rédigé par le comité de rédaction de La Rotonde

Nous sommes, de nos jours, témoins d’un anéantissement progressif à un de nos droits fondamentaux. Au nom de la sécurité publique, la police s’est vue confier la responsabilité d’étouffer les manifestations, un mandat qu’elle n’a guère eu dans les pays démocratiques au cours des dernières décennies. Dans le contexte mondial actuel, il est donc important pour nous de réitérer l’obligation des États, y compris le Canada, de permettre aux citoyen.ne.s de se rassembler pacifiquement et de partager leur vérité.

La démocratie en recul

Récemment, plusieurs pays européens, y compris l’Allemagne, la France et la Suisse, ont interdit systématiquement les manifestations propalestiniennes. Dans les villes françaises, les citoyen.ne.s qui ont voulu échanger avec l’élite politique sur la question se sont heurté.e.s à des canons à eau et de gaz lacrymogène. Le ministre de l’Intérieur a suggéré que ces restrictions ont été imposées sur des manifestations « susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ».

Amnistie internationale a rapidement condamné les mesures imposées, tant contre les pancartes et les drapeaux palestiniens, que les arrestations et la violence policière. L’organisation qui promeut la défense des droits de la personne a correctement affirmé que ces restrictions étaient illégales. Le président d’Amnistie internationale France a affirmé que de telles interdictions ne peuvent être envisagées « qu’en dernier recours ». Et pourtant, pour de nombreux pays, il est devenu un premier réflexe…

Nous ne pouvons pas prétendre que ce phénomène est apparu dans le vide : il nous semble qu’au cours des dernières années, les politicien.ne.s se sont donné.e.s pour mission de semer la division en réponse à la tragédie ou à l’exaspération. Ne sont-ils.elles donc pas responsables des manifestations auxquelles nous assistons ? Plus important encore, pourquoi le désaccord est-il aujourd’hui considéré comme une menace à la démocratie, alors qu’il en est un de ses éléments constitutifs ?

La pierre angulaire de la démocratie

Les manifestations ont toujours été perçues comme des menaces non pas tant pour la sécurité publique, mais plutôt pour le maintien d’un système politique, du statu quo. Cependant, au Canada, comme toutes les démocraties du monde, le droit de manifester est protégé par les cours de justice en vertu de la liberté d’expression et de rassemblement. Elle est inscrite noir sur blanc dans notre constitution.

Pourquoi ? Chaque citoyen.ne doit être en mesure de partager ses griefs et ses préoccupations pas seulement lors des élections, mais à tout moment, pour avoir la chance de contribuer autant que l’autre aux débats et aux décisions sociales, politiques, économiques ou culturelles.

Ensemble, des personnes partageant les mêmes valeurs et intérêts détiennent plus de pouvoir et peuvent inciter des mouvements populaires pour rallier d’autres individus à des causes communes. Ces mouvements rendent possible la création d’espaces politiques permettant l’exercice d’un débat public et d’une réflexion politique éclairés. Sans elles, certaines questions, notamment celles concernant des groupes marginalisés, ne seront jamais soulevées au point de nécessiter une reconnaissance et une discussion.

Il faut également reconnaître que l’entrave de ce droit ouvre la porte à des conséquences plus sévères. Non seulement peuvent-ils mener à la restriction d’autres droits tels que la liberté d’association ou d’expression, mais aussi à la violence puisque les manifestations constituent souvent un dernier recours pacifique.

Rappelons-nous aussi que les manifestations ont été un facteur décisif dans l’obtention des droits de la personne, des services de santé, des droits des travailleur.euse.s, de protections contre les changements climatiques, et la liste continue. Ici, au Canada : le Jeudi noir, Black Lives Matter, Idle No More et les démonstrations climatiques ont tous abouti à des changements politiques plus ou moins historiques.

Protéger la démocratie à domicile

Qu’en est-il des manifestations avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord ? Écoutez. La frontière entre la manifestation et les blocus illégaux dont nous avons été témoins en 2022, par exemple, doit être et a été définie par la mesure dans laquelle les contestations entravent les droits d’autrui. Alors que le gouvernement canadien a été critiqué pour son invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, les restrictions à la circulation publique, par exemple, démontrent à quel point la liberté des uns finit où celle des autres commence.

Cela ne veut pas cependant dire que nous sommes sur la bonne voie au Canada. « En effet, au courant des dernières années, plusieurs règlements municipaux, lois et stratégies d’intervention policières ont contribué à restreindre l’actualisation de ces libertés », souligne la Ligue des droits et libertés au Québec. Ces règlements et lois offrent une marge d’interprétation juridique, en utilisant des termes vagues comme la « sécurité nationale » ou « l’ordre public », qui peut ouvrir la voie à une restriction des droits fondamentaux de l’individu.

À l’inverse, le langage des politicien.ne.s peut être instrumentalisé pour catégoriser les revendications de groupes de manifestant.e.s comme étant illégitimes, voire illégales. Prenons le cas du premier ministre québécois, François Legault, qui a qualifié, à tort, les manifestations propalestiniennes du 10 octobre comme étant des applaudissements des meurtres commis par le Hamas.

Sans oublier la violence policière qui porte atteinte aux droits des contestataire.rice.s même ici dans la capitale nationale, les menaces qui pèsent sur notre droit de manifester sont plus proches qu’il n’y paraît. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous reposer sur nos lauriers lorsque nos gouvernements sont confrontés aux mêmes choix que la France ou l’Allemagne. Le meilleur moyen de conserver ce droit : l’exercer pleinement et fièrement.

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