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Où en sont les rela­tions canado-américaines ?

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27 janvier 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Entrevue réalisée par Rony Igor – Contributeur 

Jean-Thomas Bernard, professeur au Département de science économique à l’Université d’Ottawa, est spécialisé dans les politiques gouvernementales en lien avec l’énergie et l’économie. Il partage son analyse des premiers choix du président Joe Biden au lendemain de son arrivée à la Maison-Blanche, et leurs conséquences sur le Canada.

La Rotonde (LR) : Quelles initiatives ont été signées par Biden depuis le début de son mandat ?   

Jean-Thomas Bernard (JTB) : C’est le retrait de l’approbation de l’oléoduc Keystone XL qui a le plus attiré l’attention. Lors de son mandat, Barack Obama n’avait pas approuvé le projet. Cette décision avait été infirmée par Donald Trump, et a récemment été renversée par Biden, après près de douze années de négociations. L’oléoduc voulait augmenter la capacité d’exportation vers le sud des États-Unis à 850 000 barils [de pétrole] par jour.

Le Canada produit quotidiennement 4,5 millions de barils, dont près de 4 millions sont exportés vers les États-Unis. Il y a douze ans, le coût du pétrole était très élevé, et il y avait des investissements majeurs dans la production des sables bitumineux au Canada. Mais on a observé un manque de capacité pour l’exportation du pétrole, et son prix a énormément chuté ; un baril pouvait valoir 100 $ en 2014 [contre 55 $ aujourd’hui].

Biden a également annoncé qu’il rejoindrait l’accord de Paris de 2015, qui veut réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), l’objectif étant d’établir un plafond de 1,5 à 2 degrés d’augmentation de température à l’échelle de la planète. Biden a été le vice-président d’Obama, et il fait rétablir quelques initiatives prises par leur équipe [dans le passé]. Il a annoncé que les États-Unis feraient des efforts dans l’émission des GES. 

LR : Comment l’annulation du projet Keystone XL va-t-elle jouer sur les relations avec le Canada ?   

JTB : Il y avait un manque de capacité pour l’exportation pétrolière depuis les États-Unis dans d’autres pays, et cela a été la même situation pour tous les projets qui ont été présentés jusqu’à maintenant. Mais le projet préféré des industries pétrolières canadienne et américaine, c’était Keystone XL […]. Je crois que les producteur.rice.s canadien.ne.s doivent faire leur deuil de ce projet-là ; de nombreux autres projets ont été présentés.  

Les prix pétroliers ont chuté par rapport à la situation de 2010, et on n’entrevoit plus une croissance énorme de la production du pétrole de sable bitumineux au Canada. Lorsqu’il y a une baisse, ce n’est pas surprenant que ce soit cette partie-là de l’industrie qui soit particulièrement affectée ; on pense donc que la demande va diminuer à l’échelle mondiale.

LR : Quelles conséquences ces décisions vont-elles avoir sur les relations des États-Unis avec le Canada ? 

JTB : Le Canada est lui-même signataire de l’accord de Paris, et 75 % de nos exportations vont vers les États-Unis. Notre pays a donc été pendant très longtemps le principal client des États-Unis, avec une forte intégration. Si l’un des deux pays impose des contraintes au sujet des émissions dee GES, mais pas l’autre, cela cause des problèmes énormes pour la compétitivité entre les entreprises des deux partis. 

Pour le moment, c’est au niveau de l’industrie automobile que l’on va ressentir du changement. Le Canada avait pris des engagements pour établir des standards pour les émissions des automobiles, et l’idée de standards communs est née avec Obama. Il y a une très forte intégration des industries automobiles canadienne et américaine, donc il ne pouvait pas y avoir de standards différents des deux côtés de la frontière. Les États-Unis ont fini par établir leur propre standard, mais le Canada a eu beaucoup de difficulté à établir le sien à cause de cette intégration ; avec Biden, le Canada et les États-Unis auront finalement des standards communs aux émissions par l’industrie automobile. 

De plus, les émissions de méthane liées à l’exploitation du pétrole et du gaz naturel sont des sources importantes de GES. Là aussi, il y avait une volonté d’établir des standards communs entre les deux pays, mais Trump avait mis fin à cette initiative. Encore une fois, il y a une forte intégration des industries pétrolières canadienne et américaine, donc si l’industrie canadienne impose des standards d’émission de méthane, elle va incontestablement être pénalisée par rapport à l’industrie américaine. On va sûrement être amené.e.s à établir des standards communs [à ce niveau] dans un futur proche. 

Finalement, ici au Canada, il y a une taxe sur le carbone imposée par le gouvernement fédéral. Or, les États-Unis n’en ont pas, car ils n’ont pas de marché national du carbone. Ça pose problème pour des entreprises canadiennes qui sont désavantagées par rapport aux entreprises américaines qui n’ont pas à payer cette taxe. Alors, le Canada s’apprêtait à imposer des tarifs compensatoires pour les pays qui n’ont pas ce système de taxe carbone. Biden semble adopter une politique qui va s’attaquer aux émissions de GES, donc je crois ça peut se faire, étant donné que son objectif est d’attendre une neutralité à l’égard des émissions de carbone pour 2050. 

LR : Quel est l’avenir de l’Accord de Paris sur le climat ?  

JTB : Depuis la signature de l’accord en 2015, il y a eu du progrès à l’échelle de la planète. L’émission cette année va être en baisse à cause de la pandémie. Avant ça, on n’avait pas pris de virage significatif vers la baisse des émissions. La COVID-19 a mis en évidence que nous sommes capables de diminuer les taux d’émission, même si le coût d’un tel résultat reste évidemment très élevé puisqu’il est lié à une baisse de l’activité économique.

Dans les programmes de relance des pays, il y a quand même le volet de la transition énergétique vers des formes d’énergies renouvelables. Dans la plupart des pays industrialisés, cela a été une tendance marquée par la pénétration de l’électricité dans des sources renouvelables. Je crois que le retour des États-Unis dans l’accord de Paris va accentuer cette orientation-là, en mettant en place des mesures plus formelles, suivies également par le géant américain. 

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