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Arts et culture

Briser le tabou des règles avec Élise Thiébaut

Rédaction
23 juin 2021

Crédit visuel : Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef

Entrevue réalisée par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef

« Comme des milliards de femmes depuis que le monde est monde, j’ai eu mes règles  chaque mois pendant près de quarante ans. » Voici comment débute l’ouvrage Ceci est mon sang par Élise Thiébaut. En entrevue avec La Rotonde, l’auteure française donne un avant-goût de son livre. 

La Rotonde (LR) : De quoi parle votre livre Ceci est mon sang

Élise Thiébaut (ET) : Comme son sous-titre l’indique, « petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font », j’ai cherché à comprendre pourquoi il y avait un tabou autour des menstruations et quelles étaient les conséquences [de ce tabou] non seulement aujourd’hui, mais aussi dans l’histoire. J’ai voulu analyser comment ce tabou avait contribué à l’histoire et à l’instauration du patriarcat

Dans le livre, j’ai enquêté sur ce sujet [les règles] pour lequel il y a encore, en raison de ce tabou, une énorme ignorance. J’ai enquêté sur les règles en rapportant ce sujet à ma propre expérience de 40 ans de règles. 

LR: Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un livre sur les règles ? 

ET : Ça a été une intuition fulgurante. J’ai toujours beaucoup écrit sur les questions de gynécologie et de règles et je souffrais d’endométriose. J’avais le sentiment qu’en grande partie, la condition des femmes était liée au tabou des règles. 

LR : Justement, dans votre ouvrage, vous évoquez la méconnaissance quant à l’endométriose. Pourquoi est-ce que c’était important pour vous de mettre de l’avant cette méconnaissance ? 

ET : Cette maladie touche 10 à 15 % des femmes dans le monde. Comme elle s’inscrit dans le tabou autour des règles, l’endométriose est une maladie chronique, pour laquelle il y a cinq à sept ans, en moyenne, d’errance médicale avant d’aboutir à un diagnostic. Et c’est une maladie qu’on ne sait pas soigner ! 

Je trouve que ça fait beaucoup compte tenu que certaines des douleurs produites par l’endométriose sont comparables à des douleurs liées à une crise cardiaque. Je vous garantis que s’il existait une maladie pareille, […] touchant les hommes, on aurait déjà un médicament. 

LR : Selon vous, pourquoi le tabou lié aux menstruations persiste-il ? 

ET : Les menstruations sont toujours un tabou parce que le tabou autour des menstruations est multimillénaire et on ne s’en débarrassera pas en quelques années. C’est un tabou tellement fort que même les connaissances de base de la menstruation ne sont pas suffisamment partagées. Il y a plusieurs préjugés et superstitions qui persistent et il n’y a pas de transmission de connaissances. 

D’ailleurs, c’était mon objectif pour Ceci est mon sang. Mon objectif ce n’était pas d’écrire un manifeste, mais d’écrire un manuel pour donner des moyens pour chaque personne qui le lisait, de s’approprier, de se réapproprier son corps. Je voulais montrer comment les règles étaient un sujet digne d’intérêt. 

LR : Des titres humoristiques et un ton d’humour caractérisent votre ouvrage. Pourquoi aborder les règles avec ce ton humoristique ?

ET : Premièrement, le ton humoristique fait partie de mon style. J’écris d’une manière humoristique. C’est une façon de partager des connaissances et d’aborder un sujet ou jugé difficile ou dont on sait qu’il va mettre mal à l’aise. J’ai cherché à tout prix à faire que mon livre soit agréable à lire. C’est-à-dire, que je n’ai pas cherché à faire un livre documentaire, ni un livre de théorie, j’ai essayé de créer une histoire, une narration. 

Je me suis aussi attachée à tourner en dérision et utiliser de l’autodérision. C’était compliqué parce que souvent, on a tendance à faire des blagues autour des règles pour choquer, pour faire de la provocation. Et moi, je ne voulais pas faire cela. Je ne voulais pas utiliser un humour pour dénigrer le sang, les femmes, etc., je voulais utiliser l’humour comme arme de défense […] ce qui a été très employé par les féministes. 

LR : D’après vous, parler de menstruations dans la sphère publique, est-ce que ça constitue un acte d’émancipation pour les femmes ?

ET : Françoise d’Eaubonne, sur qui je viens de publier un livre, disait dans un de ses premiers essais que « tant que le mythe contredit la loi, c’est le mythe qui gagne ». Parler des règles dans la sphère publique, c’est créer une autre parole, un contre-récit par rapport à la dépréciation, aux préjugés, à la stigmatisation des règles. Et à ce titre, c’est émancipateur.

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