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Éditorial

Congé de taxes : un pansement sur une plaie béante

Camille Cottais
25 novembre 2024

Crédit visuel : Camille Cottais – Rédactrice en chef

Éditorial collaboratif rédigé par Camille Cottais – Rédactrice en chef

Jeudi, le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a annoncé l’intention du gouvernement de suspendre les taxes sur de nombreux produits pendant deux mois (du 14 décembre au 15 février). Ce congé de taxes sera accompagné d’une aide de 250 dollars pour les travailleur.se.s canadien.ne.s ayant gagné moins de 150 000 dollars en 2023. Si on a vite fait de se réjouir de ce cadeau de Noël en avance, cette mesure va-t-elle vraiment nous aider ?

Annoncé jeudi matin pendant une conférence de presse, ce congé de taxes, qui doit encore être approuvé par la Chambre des communes, s’appliquerait à une variété de produits : aliments préparés, repas au restaurant, boissons alcoolisées contenant moins de 7 % d’alcool par volume, collations sucrées et salées, vêtements et souliers pour enfants, jeux vidéo, livres, ou encore sapins de Noël.

La mesure proposée par Trudeau cible la TPS (taxe sur les produits et services) et la TVH (taxe de vente harmonisée), ce qui implique différentes répercussions selon les provinces. En effet, cinq provinces au Canada, dont l’Ontario, prélèvent la TVH, qui combine les taxes provinciales et fédérales. Dans les autres provinces, incluant le Québec, la taxe fédérale (TPS) s’ajoute à la taxe provinciale (TVQ au Québec). Ainsi, dit simplement, cela signifie que si vous achetez vos biens à Ottawa, vous bénéficierez d’un allègement temporaire de 13%, alors qu’à Gatineau, la réduction ne sera que de 5%.

Quant au chèque de 250 dollars, nommé « Remise pour les travailleurs canadiens », il sera déposé en avril 2025 aux 18,7 millions de personnes admissibles, si le projet est adopté.

Bien sûr, recevoir de l’argent gratuitement et économiser un peu sur nos achats est toujours agréable, mais arrêtons-nous quelques minutes pour examiner de plus près les implications politiques et économiques de cette mesure.

Démagogie électorale

Cette mesure intervient alors que le mécontentement face à l’inflation grimpe aussi vite que la popularité de Trudeau chute : le Parti conservateur de Pierre Poilievre a plus de 17 points d’avance dans les sondages. Est-ce une tentative désespérée de séduire les conservateur.ice.s ? En tout cas, rien ne crie « saison électorale » plus fort qu’une mesure aussi démagogique que ce congé de taxes…

La suspension de la TPS/TVH pendant deux mois devrait coûter 1.6 milliard de dollars, tandis que le prix des chèques est estimé à 4.7 milliards. Comme l’a déclaré Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois, le Parti libéral trouve miraculeusement 6 milliards de dollars pour des « cadeaux électoraux », alors qu’il affirmait il y a quelques semaines qu’augmenter la pension de la Sécurité de la vieillesse des 65 à 74 ans (une mesure estimée à 3 milliards par an) serait trop onéreux.

Certes, certain.e.s diront que c’est ainsi que fonctionne la politique : chaque parti tente de séduire les électeur.ice.s avec des mesures populaires, à l’exception peut-être du Parti conservateur, qui, lui, préfère blâmer tous nos maux sur l’immigration et Trudeau. Cependant, il est légitime de s’interroger sur la santé d’une démocratie où les voix semblent être achetées avec les fonds des contribuables, c’est-à-dire avec notre propre argent…

Cui bono

Tout porte à croire que cette mesure ne soit que de « la poudre de perlimpinpin », comme le dirait un certain chef de l’État de l’autre côté de l’Atlantique. Puisque la majorité des produits essentiels en épicerie sont déjà exemptés de taxes, nous, étudiant.e.s précaires, n’allons pas en tirer grand bénéfice, si ce n’est pour sauver quelques cennes sur les Doritos. Je ne vous apprends rien en rappelant que celles et ceux qui triment pour boucler leurs fins de mois ont davantage dans leurs priorités de payer leurs courses et leurs factures qu’acheter le dernier Call of Duty à leur cousin pour Noël. Ou peut-être Trudeau s’attend à ce que nous utilisions les livres en rabais pour faire réchauffer nos foyers ? Personnellement, je n’accepterais que si c’était avec du Colleen Hoover…

Maryse Côté-Hamel, professeure en science de la consommation de l’Université Laval, résume bien la situation dans un article du Devoir : « L’impact sur la facture d’épicerie va être minime. Soit ce sont des aliments qui ne coûtent déjà pas très cher, soit ce sont des produits qui ne sont pas essentiels et qui ne se retrouvent pas souvent dans le panier des consommateurs ». Elle ajoute : « Je doute que les familles qui ont besoin d’aide achètent des vêtements neufs ou des chaussures neuves à 150 $ à leurs enfants. Elles se tournent probablement vers l’usager en temps normal. […] Ce ne sont pas les personnes à plus faibles revenus qui vont en tirer le plus grand bénéfice ».

Lors de l’annonce de sa mesure jeudi, Trudeau a déclaré : « La Remise pour les travailleurs canadiens de 250 $ qui sera envoyée aux gens en avril va donner aux gens le soulagement dont ils ont besoin ». Nous soulager avec 250 piasses ? Permettez-nous d’en douter. Nous sommes dans un ouragan, et Trudeau nous tend  un parapluie. Ce montant sera dérisoire face à nos dettes étudiantes de milliers de dollars, et est peu significatif en termes de pouvoir d’achat dans le contexte d’une inflation galopante. On se demande, à La Rotonde, ce qu’on va faire avec ces 250 dollars… Payer un plein de gaz ? Une semaine d’épicerie ? Un cinquième de notre loyer ? Ou peut-être de l’alcool à rabais pour oublier la situation politique nord-américaine ? Bien sûr, la moitié d’entre nous ne pourra même pas se poser la question, étant étudiant.e.s internationaux.ales. Apparemment, nous ne faisons pas assez tourner l’économie canadienne pour mériter un petit cadeau de Noël.

Nous nous interrogeons également sur la limite de revenus fixée à 150 000 dollars, un montant bien au-delà de la moyenne canadienne de 63 181 dollars par an pour les employé.e.s à temps plein. Il est peu probable que les Canadien.ne.s gagnant 100 000 à 150 000 dollars par an soient ceux et celles faisant la queue devant les banques alimentaires. Pourquoi ne pas réserver une aide plus substantielle aux personnes qui vivent réellement dans la précarité ?

Quant à la liste des produits soi-disant « essentiels », on y trouve étonnamment les consoles de jeux vidéo, les sapins de Noël, certaines boissons alcoolisées, les jouets destinés aux enfants de moins de 14 ans ou encore les repas au restaurant. Se payer une bouteille de Chardonnay ou acquérir une Playstation 5 serait donc essentiel à notre survie ? Décidément, on en apprend tous les jours ! Là encore, pourquoi ne pas avoir plutôt investi dans une détaxation permanente sur les produits de première nécessité, comme les produits menstruels, les couches ou les aliments transformés ?

Illusion d’une aide, réalité d’une crise

Cette mesure facile et temporaire offre un faible et court soulagement, mais risque de ne pas avoir un impact durable sur l’économie. En fait, le retour brutal des taxes après le congé pourrait même décourager la consommation. De la même façon, elle pourrait faire chuter les ventes avant d’être implémentée, car les consommateur.ice.s sont susceptibles de se retenir de dépenser autant que possible en attendant le début de l’allègement fiscal.

Mais surtout, congé de taxes et maigre chèque ne résolvent aucunement les problèmes structurels sous-jacents qui affectent l’économie et pèsent sur le coût de la vie. En tête de liste, l’inflation, qui n’en finit pas d’en mettre plein les poches aux grands groupes alimentaires.

Prenons l’exemple de la chaîne Metro. Entre 2019 et 2023, son chiffre d’affaires a flambé de 16 767,5 millions de dollars à 20 724,6 millions, soit une impressionnante augmentation de 23,6 % en quatre ans. Quant à son bénéfice net, il a augmenté de 42,6 %, passant de 714,4 millions en 2019 à 1 018,8 millions en 2023 ! Le directeur général et PDG de Metro, Éric La Flèche, n’est pas en reste, puisqu’il reçoit une rémunération totale (salaire et bonus) de 6,1 millions de dollars en 2024, un chiffre exorbitant qui n’a fait que grimper dans les dernières années. La Flèche sera certainement déçu d’apprendre qu’il ne se qualifie pas pour le chèque de 250 dollars promis par Trudeau…

Bien sûr, le gouvernement fédéral ne peut pas simplement baisser le prix des produits d’épicerie du jour au lendemain, mais il pourrait, entre autres, adopter des politiques pour freiner le monopole des géants comme Loblaws, qui détient la majorité des épiceries au Canada (Provigo, No Frills, Maxi, T&T, Freshmart, Shoppers Drug Mart, Pharmaprix…).

Enfin, n’oublions pas la charge de travail supplémentaire que cette mesure impose aux petits commerces, qui devront, pendant leur période la plus chargée de l’année, reprogrammer manuellement le prix de chaque produit sur leurs caisses, pour tout changer à nouveau deux mois plus tard.

En somme, cette mesure semble surtout un exercice de communication plutôt qu’une véritable solution. Mais n’oublions pas, rester critique sur Trudeau ne signifie pas soutenir Pierre Poilievre : les conservateur.ice.s nous plongeront dans un tourbillon de mesures bien plus néfastes ! Alors, n’hésitons pas à arrêter de croire au père Noël et à exiger des réponses réelles plutôt que des promesses en chocolat.



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