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Record d’inflation au Canada : le pire est-il encore à venir ?

Camille Cottais
7 juillet 2022

Crédit visuel : Archives

Article rédigé par Camille Cottais – Journaliste

En mai 2022, le taux d’inflation au Canada a atteint 7,7 %, soit la plus forte hausse observée depuis 1983. Les prix de l’essence, des produits alimentaires, des logements et des services ont grimpé, menant à une perte du pouvoir d’achat pour les Canadien.ne.s particulièrement douloureuse pour les personnes les plus précaires, dont les étudiant.e.s.

David Gray, professeur de science économique à l’Université d’Ottawa, affirme qu’une telle explosion du taux d’inflation n’était pas prévisible : « Les économistes pensaient qu’il y aurait des lacunes d’offre et donc une inflation provisoire, mais pas persistante comme on voit maintenant », développe-t-il.

Pourquoi de tels niveaux d’inflation ? L’invasion de l’Ukraine s’est ajoutée aux problèmes d’approvisionnement déjà présents avant, à cause de la pandémie, explique Mario Seccareccia, professeur de science économique à la retraite. Même si l’offre ne suivait déjà plus la demande, personne, y compris les décideur.se.s politiques et les banques centrales, n’imaginait avant février dernier qu’une augmentation des taux d’intérêt deviendrait nécessaire.

L’inflation, qui touche pratiquement le monde entier, n’est pas poussée par la demande, mais par des facteurs du côté de l’offre, poursuit Seccareccia. Il évoque notamment les prix du pétrole, dont le coût a augmenté de 48 % au Canada entre mai 2021 et mai 2022. Selon Statistique Canada, l’inflation n’a néanmoins pas touché que le pétrole, mais aussi le logement (+7,4 %), ou encore les produits alimentaires (+9,7 %), dont les graisses et huiles comestibles (+30 %) et les légumes (+10,3 %).

Augmentation de l’inflation, mais pas des salaires

Les deux professeurs constatent que les salaires n’augmentent pas aussi vite que les prix, ceci résultant en une perte du pouvoir d’achat des consommateur.ice.s. Gray souligne que le taux de revalorisation maximal des salaires a été fixé à 1 % pour une grande partie de la fonction publique de l’Ontario, ce qui contraste fortement avec un taux d’inflation atteignant presque 8 %. L’indexation des salaires sur le coût de la vie est également faible pour la plupart des autres salarié.e.s, dépassant rarement 4 % selon Seccareccia, pour qui cette situation est difficilement soutenable sur le long terme.

Même si l’augmentation des frais de scolarité est, comme le rappelle Gray, gelée depuis quatre ans pour les étudiant.e.s ontarien.ne.s, la population étudiante paie de plein fouet les augmentations des loyers et des aliments. Même pour les étudiant.e.s qui travaillent, Seccareccia souligne que cette inflation est difficilement compensée par leurs maigres et stagnants salaires.

Une augmentation de la rémunération aiderait, selon le professeur, à rattraper l’inflation, mais il faudrait pour cela que les entreprises acceptent de couper dans leurs marges de profit. Seccareccia explique que c’est toutefois le contraire qui se produit : dans de nombreux secteurs,  les profits des entreprises ont augmenté pendant la pandémie. La solution serait, selon lui, le développement d’une société plus coopérative, moins individualiste, cherchant par exemple à mettre en place des ententes entre syndicats et entreprises pour mieux contrôler l’inflation.

Quelles solutions ?

Alors, quelles mesures les décideur.se.s politiques peuvent-ils.elles prendre pour faire face à l’inflation ? Pour le professeur Gray, les contraintes fiscales et budgétaires liées à la pandémie limitent l’envergure des interventions gouvernementales.

Le blocage du prix des produits de première nécessité, comme cela a été expérimenté aux États-Unis et au Canada au début des années 1970, n’est selon lui pas une solution envisageable. Cela irait « à l’encontre des lois naturelles de l’économie de l’offre et de la demande ». Le professeur Seccareccia n’est toutefois pas d’accord. Selon lui, la politique de gel des prix et des salaires auparavant mise en place n’a pas été un échec, même s’il reconnaît qu’il ne s’agit pas d’une solution viable à long terme.

Seccareccia compare la décision de Doug Ford de réduire les taxes sur le pétrole à celle de François Legault d’offrir un chèque de 500 dollars à tou.te.s les Québécois.e.s gagnant moins de 100 000 dollars net par an. Selon le professeur à la retraite, la baisse des taxes aura pour effet d’atténuer l’augmentation du prix du pétrole, mais seule une partie de la population pourra en bénéficier, celle-ci excluant les personnes n’ayant pas de véhicule, dont beaucoup d’étudiant.e.s et de personnes précaires. Par conséquent, cette solution n’est selon lui pas équitable, contrairement au chèque distribué par Legault. Cependant, puisque l’inflation actuelle est poussée par des lacunes dans l’offre et non dans la demande, cette mesure ne va, d’après lui, pas nécessairement mener à une baisse de l’inflation.

Augmenter les taux d’intérêt : une fausse bonne idée ?

Une des façons de lutter contre l’inflation est d’augmenter les taux d’intérêt, explique Gray : c’est ce que la Banque du Canada a fait fin mai en relevant son taux directeur de 1 à 1,5 %. L’augmentation de ceux-ci « est une arme douloureuse, mais efficace », précise-t-il. 

Si les taux des années 1980, avoisinant les 20 %, sont loin, ces derniers pourraient tout de même continuer à augmenter, selon Seccareccia, qui est quant à lui en désaccord avec une telle politique monétaire. Relever les taux d’intérêt n’aurait selon lui que très peu d’effet sur l’inflation dans les circonstances actuelles. « Cela marcherait s’il s’agissait d’un facteur purement de demande comme durant la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle on a augmenté les taux d’épargne pour éviter que les prix grimpent », développe-t-il. Cependant, augmenter les taux d’intérêt aujourd’hui enrichirait celles.ceux qui en vivent, au détriment des salarié.e.s, et risquerait même d’entraîner une récession, s’inquiète le professeur d’économie.

Il rappelle finalement que toutes sortes de secteurs ont été touchés par l’inflation, essentiellement à cause du contexte international actuel. Le seul domaine dans lequel les taux d’intérêt pourraient jouer un rôle serait selon lui le logement, les taux faibles encourageant la spéculation immobilière. Les augmenter empêcherait donc le risque que le prix de certains biens immobiliers double, voire triple, comme pendant la pandémie.

 

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