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Éditorial

Nous méritons plus, beaucoup plus

Aïcha Ducharme Leblanc
8 novembre 2021

Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe

Éditorial rédigé par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef

Le 2 novembre dernier, le gouvernement de Doug Ford a présenté un nouveau projet de loi qui augmenterait le salaire minimum de 75 cents, soit de 14,25 $ à 15 $ à compter de janvier 2022. Croyant à tort qu’il fait une différence, le gouvernement ne comprend pas que ce nouveau salaire minimum n’en est pas un de subsistance, mais bien de famine.

Timothy Gulliver, président du Syndicat Étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO), souligne que cette nouvelle augmentation a suscité une réaction étouffée. Ce silence est révélateur : pourquoi célébrer une hausse qui ne répond pas à nos besoins actuels ?

Coût de vie en hausse

Toute augmentation du salaire minimum est gagnante ; cependant, comme le démontrent les statistiques, 15 $ de l’heure ne suffit pas pour vivre dans notre province. En effet, selon le Ontario Living Wage Network, le salaire de base à Ottawa serait de 18,60 $, soit 3 $ et 60 cents de plus que ce que Ford propose. En fait, dans aucune ville de l’Ontario, 15 $ n’est considéré comme un salaire digne et suffisant.

Encore plus enrageant, est le communiqué de presse publié par le gouvernement ontarien, qui voit le ministre du Travail, de la Formation et du Développement des compétences, Monte McNaughton prétendre que ses collègues et lui font vraiment une différence.

Il déclare fièrement que le gouvernement continuera « d’utiliser tous les outils à [sa] disposition pour aider les travailleur.euse.s de [la] province à mener une carrière intéressante qui leur permettra de gagner un meilleur salaire et d’améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs proches ».

Ont-ils.elles oublié que nous nous retrouvons en tant que société dans une situation toujours plus instable économiquement ? On voit clair dans votre jeu.

En septembre, un article de Radio-Canada rapportait que l’inflation du Canada aurait bondi à 4,4 %, soit son niveau le plus élevé depuis 2003. Nous traversons une crise du coût de la vie ; les aliments deviennent de plus en plus chers, les prix des logements augmentent à toute vitesse, le coût de l’essence grimpe sans cesse et une maigre hausse de 75 cents ne sera pas suffisante pour combler les besoins essentiels de la population.

Élite politique et précarité étudiante

Quel est le visage du salaire minimum ? Comme le relève le gouvernement de l’Ontario, en 2021, il y a actuellement 763 500 travailleur.euse.s dans la province dont le salaire était égal ou inférieur au salaire minimum général proposé de 15 $ l’heure. D’ailleurs, il incombe de préciser que les femmes et certains groupes sociaux comme les Autochtones et les immigrant.e.s sont surreprésenté.e.s dans ces emplois précaires.

Et comme on peut facilement le deviner, les étudiant.e.s font également partie des personnes qui remplissent majoritairement ces rôles essentiels, 52,3 % d’entre eux pour être précis, selon une étude de 2018 de Statistique Canada.

Ford, qui gagne plus de 200 000 $ par année, est issu d’une famille aisée et ne sait évidemment pas ce que c’est de vivre dans la précarité. Il est déconnecté de la réalité de ces 763 500 personnes, certaines d’entre elles les moins bien nanti.e.s de la société ontarienne. Tout particulièrement, « le gouvernement [de Ford] ne comprend pas la réalité des étudiant.e.s », précise Gulliver.

Le président du SÉUO rappelle effectivement que Ford a gelé les frais de scolarité et n’a pris aucune mesure pour améliorer l’accès à l’éducation en optant de réduire les prêts et les bourses. « Le gouvernement profite [de l’occasion] pour paraître comme s’il a pris une décision pro-étudiante, [quand elle l’est vraiment pas] », déclare-t-il. Puisque Ford ne comprend pas cette dure réalité étudiante, faisons-lui la leçon sur les coûts moyens qui montent en flèche, d’un.e étudiant.e à Ottawa en 2021.

Selon le Service de l’aide financière et des bourses, pour l’année 2021-2022, les frais de scolarité varient entre 6 652 et 10 016 $ pour un.e étudiant.e canadien.ne de premier cycle. Il faut aussi compter 436 $ pour un U-Pass. Les fournitures scolaires et les manuels coûtent en moyenne entre 1 600 et 2 300 $ selon le programme d’étude.

Le service estime également que pour un.e étudiant.e vivant hors campus, le loyer et l’épicerie reviennent à une somme stupéfiante entre 8 500 à 12 500 dollars par an et l’assurance, si elle n’est pas couverte par celle des parents ou tuteur.ice.s, coûte 250 $. Ces sommes ne comprennent pas les autres dépenses telles que les sorties, les frais de voiture, etc. Le bilan des coûts est encore plus élevé pour les étudiant.e.s internationaux.ales.

D’après ces chiffres, le montant le plus bas qu’un.e étudiant.e d’Ottawa puisse débourser par an, tout en étant très parcimonieux.se, est de 17 438 $. Travailler 15 $ de l’heure, ça passe ? La réponse est un non catégorique.

L’inaction ou la quasi-inaction de ces faibles décideur.euse.s politiques explique pourquoi de nombreux.ses étudiant.e.s sont contraint.e.s de se contenter de logements insalubres et miteux ; pourquoi ils.elles s’endettent pour obtenir un diplôme ; pourquoi ils.elles sont obligé.e.s de vendre leur corps ou de travailler trois emplois juste pour joindre les deux bouts.

Ahurissant pour un gouvernement qui se dit for the people.

Stratégie politique éhontée

Un petit retour dans le temps nous rappelle finalement que Ford a annulé, peu après sa victoire aux élections en 2018, l’augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure annoncée par l’ancien gouvernement libéral de Kathleen Wynne.

La décision ironique de l’augmenter à nouveau quatre années plus tard est qualifiée d’ « hypocrite et de politique » par Gulliver. Les intérêts de Ford ne consistent pas à « améliorer les conditions de vie des travailleur.euse.s » comme le stipule son communiqué de presse. Il s’agit plutôt d’une manœuvre électorale afin de pouvoir satisfaire sa soif de pouvoir en juin prochain. N’a-t-il pas honte de jouer la politique avec le sort des personnes les moins fortunées de notre société ?

Interrogé sur ses motivations par Radio-Canada, il prétend qu’il n’y a aucun lien entre la situation pré-pandémique et celle post-pandémique en Ontario. Nous lui rétorquons que la pauvreté et la précarité dues à des salaires trop maigres sont installées depuis des années, et que le coût de la vie grimpe depuis tout aussi longtemps.

Le gouvernement estime même dans son communiqué de presse que les employé.e.s au salaire minimum sont les « héro.ïne.s méconnu.e.s de cette pandémie ». Nous lui répondons que ces travailleur.euse.s ont toujours été sous-payé.e.s et héroïques. Ils.elles ne méritent pas cette minable augmentation comme une « récompense » pour leur sacrifice pendant la pandémie. Au contraire, ils.elles ont droit à une hausse encore plus élevée parce que l’accès à un salaire décent est un droit humain.

Dans une vidéo de conférence de presse à présent bien connue, un journaliste demande à Ford : « Premier ministre, pouvez-vous vivre avec 15 $ de l’heure ? ». Ford lui a répondu que l’augmentation « n’était qu’un début ». Il est temps pour ce gouvernement de songer au calvaire des travailleur.euse.s au salaire horaire minimum dans le cadre de ce qu’il a lui-même appelé une crise du coût de la vie.

 

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