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Entrevue réalisée par Hai Huong Lê Vu — Journaliste
À l’occasion de de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, La Rotonde s’est entretenue avec Quanah Travis, étudiant mohawk en quatrième année en linguistique à l’Université d’Ottawa (U d’O) et vice-président finances à l’Association des étudiant.e.s autochtones, au sujet des langues autochtones et du bilinguisme. Lors de l’Assemblée générale du Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO), en automne 2022, Travis a proposé un amendement constitutionnel sur la définition du bilinguisme, qui a été adopté à l’unanimité. Il partage ici plus de détails sur sa vision du concept.
La Rotonde (LR) : Qu’est-ce qui vous a poussé à suggérer l’amendement sur l’ancienne définition du bilinguisme du SÉUO ?
Quanah Travis (QT) : En voyant la définition sur la constitution du SÉUO, j’ai remarqué qu’elle ne correspondait pas à la bonne notion du bilinguisme. Je me suis dit que, si le SÉUO veut avoir comme valeur fondamentale la décolonisation dans sa constitution, alors il fallait décoloniser la définition et inclure les langues autochtones.
Je suis venu à Ottawa pour étudier la linguistique. Je rêve d’une revitalisation des langues, non pas seulement pour ma communauté, mais pour toutes les autres communautés qui en ont besoin. Ainsi, je cherche à encourager le développement de la langue mohawk. Cela m’encourage à continuer à parler ma langue, et encourage mon entourage à l’apprendre.
LR : Comment percevez-vous l’inclusivité du bilinguisme au sein du corps professionnel de l’U d’O ?
QT : La définition de l’Université sur le bilinguisme est juste. Cependant, dans le cas de l’embauche de professeur.e.s, il est arrivé que l’on renonce à cette définition pour tenir compte des peuples autochtones.
En effet, il y a une grande pénurie de professeur.e.s Premières nations, Métis et Inuits pour enseigner le contenu de l’autochtonie sur notre campus. J’ai rencontré quelques professeur.e.s qui ne s’inscrivent donc pas dans la définition du bilinguisme donnée par l’U d’O : prenons par exemple Eva Ottawa, professeure en droit, qui parle français et atikamekw.
J’aimerais que la définition de l’Université soit révisée et qu’elle s’inspire du nouveau plan d’action autochtone, rédigé par Karen Johnson, directrice des affaires autochtones, qui parle plusieurs langues des Premières nations, Métis et Inuits.
LR : Si vous pouviez réimaginer l’ancien Centre du bilinguisme du SÉUO, changeriez-vous quelque chose ?
QT : Je pense que l’objectif du Centre de bilinguisme était très bien. Pour pouvoir réaliser mes rêves, il faudrait une quantité de travail presque insurmontable et un financement auquel le Syndicat n’a tout simplement pas accès, surtout après la réduction budgétaire d’un demi-million de dollars.
L’introduction de programmes en langues de l’autochtonie est incroyablement coûteuse. Il en existe environ 80 au Canada. Comment choisir celles qui seront programmées ? Il faudrait aussi des enseignant.e.s pour chacune d’entre elles, et c’est tout simplement impossible à gérer avec le budget actuel. Il est regrettable que l’argent freine la programmation de cette idée, mais c’est la réalité.
LR : Si le budget n’était pas un problème, comment pensez-vous que nous pourrions honorer davantage les langues autochtones sur le campus ?
QT : Si le budget n’était pas un problème, il y aurait un.e professeur.e pour chaque langue autochtone. Il devrait y avoir un endroit où tout le monde — et pas seulement les étudiant.e.s Premières nations, Métis et Inuits — pourrait apprendre la langue autochtone de son choix.
Il y a un centre linguistique pour les langues autochtones à Kingston, et c’est l’endroit que je préfère le plus au monde. J’y ai passé du temps à apprendre un peu d’ojibwé avec une tante de ma communauté, même si je ne suis pas ojibwé.
LR : À l’approche de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, quelles actions devraient, selon vous, être entreprises pour décoloniser la définition du bilinguisme ?
QT : J’ai l’impression que la plupart des personnes sur le campus ne font plus référence au bilinguisme comme étant strictement un bilinguisme français-anglais. En effet, de nombreux.ses étudiant.e.s parlent deux langues autres que celles-ci, qu’il s’agisse de l’anglais et de l’arabe, du français et de l’arabe, ou de toute autre lingua parlée sur le campus.
Il faut cependant noter que beaucoup d’individus pensent encore que tous les peuples autochtones parlent la même langue, ce qui n’est pas vrai. Il en existe des dizaines sur ce continent, et il s’agit d’un apprentissage à faire à l’occasion de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
J’invite tout le monde à lire les 94 appels à l’action de la Commission Vérité et Réconciliation. Je vous demande de noter les appels à l’action qui ont été mis en œuvre et ceux qui ne l’ont pas été. Demandez-vous pourquoi, et considérez les progrès accomplis. Travaillez à achever les appels à l’action qui n’ont pas été complétés.
LR : Y a-t-il une question ou une préoccupation liée au bilinguisme sur le campus que vous voudriez mettre en lumière ?
QT : Je suis arrivé à Ottawa sans parler français, j’ai commencé à l’apprendre il y a un an et demi. J’encourage tou.te.s les étudiants qui ne parlent pas français à au moins essayer. C’est le moment et l’endroit parfait pour le faire. Il s’agit d’un excellent moyen de s’enrichir et d’entrer en contact avec différentes communautés sur le campus.